Le Monde
18 novembre 2011 vendredi
LES DÉMOCRATIES, en Europe, plient-elles face à la dictature des marchés ? Cette thèse, étayée par le remplacement en Italie de Silvio Berlusconi par Mario Monti et en Grèce de Georges Papandréou par Lucas Papadémos, deux profils de technocrates censés, suivant la formule consacrée, rassurer les marchés, a ses adeptes. Le Monde a interrogé sur cette question plusieurs députés européens actuels ou anciens, de droite comme de gauche, qui font autorité sur les questions européennes. Il en ressort surtout l’idée d’une insuffisance de la construction politique de l’Europe.
» La dictature des marchés, c’est une plaisanterie « , estime Alain Lamassoure (UMP-PPE). Pour l’ancien ministre des affaires européennes (mars 1993-mai 1995), » il s’agit d’une quinzaine de pays surendettés arrivés à un tel degré de dérive qu’ils doivent prendre des mesures « .
» Les bêtises sur la dictature des marchés, ça commence à bien faire » , estime aussi Jean-Louis Bourlanges, président de la Fondation du centre. » La vérité est qu’il n’y a toujours pas d’instance politique adaptée à l’économie, qui est transnationale, et qu’il y a donc un vide. Ceux qui protestent contre les marchés feraient mieux de dénoncer les systèmes nationaux « , juge-t-il. » Les compétences politiques relèvent de l’intergouvernemental, avec des décisions prises à l’unanimité. C’est un modèle souverainiste. Les souverainistes s’étonnent que les gros Etats tordent le cou aux petits : mais c’est vendu avec ! « , poursuit M. Bourlanges.
Pour la gauche, c’est l’absence de volonté politique qui est à l’origine de la crise. Pour Elisabeth Guigou (PS), prédécesseur de M. Lamassoure au ministère des affaires européennes (octobre 1990-mars 1993), » face aux marchés, les politiques sont faibles car ils n’ont pas respecté les règles sur les déficits et la dette, et, dans la crise, ont toujours décidé trop peu et trop tard. Il faut à la fois que les politiques rétablissent la confiance des investisseurs et adoptent des mesures draconiennes sur la spéculation, notamment sur certains produits dérivés et sur les paradis fiscaux « .
Selon le député européen Henri Weber (PS-PSE), la crise sanctionne en réalité une idéologie dominante. » Au cours des trente dernières années, on a dérégulé, déréglementé, organisé sciemment le retrait de l’Etat de l’activité économique. On a affaibli la politique. Il ne faut pas s’étonner de la puissance des marchés « , juge-t-il.
Pervenche Berès fait un diagnostic sombre. » Après avoir accepté une financiarisation excessive de l’économie, nous sommes en train d’aboutir à la financiarisation du politique « , estime-t-elle. Pour elle, l’Europe souffre d’un déficit de vision, réduite à une approche » technocratique « . » Lorsqu’Angela Merkel souhaite que l’on puisse renvoyer devant la Cour de justice les Etats qui ne respectent pas les normes concernant les déficits, c’est un déni de la politique et de la démocratie. Vous laissez des juges arbitrer de votre bonne conduite « , dénonce-t-elle.
Pour Pascal Canfin, député Europe Ecologie-Les Verts, » il n’y a aucun contre-pouvoir dans les salles de marché « . » Les marchés laissent penser qu’il n’y a qu’une seule politique possible : l’austérité généralisée. Ils sont engagés dans un rapport de forces avec les Etats membres pour leur imposer leurs plans « , estime le député européen. A l’origine de cet état de fait, il y a cependant, pour lui aussi, les politiques. » Ce sont eux qui ont donné aux marchés ce pouvoir exorbitant qu’ils exercent aujourd’hui « , estime-t-il.
Tous s’accordent pour constater qu’il faut répondre aux craintes des peuples européens sur leur souveraineté. » En France, il n’y a eu aucune consultation avant que les décisions ne soient prises par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, à l’inverse de ce qui s’est passé en Allemagne. Cela doit changer « , estime Mme Guigou.
M. Lamassoure et M. Bourlanges souhaitent la création d’une instance représentative des Parlements nationaux. » Il faut créer une assemblée de la zone euro, à côté du Parlement européen, composée des représentants des commissions des finances des différents Parlements de la zone euro « , détaille M. Bourlanges. Qui veut rester confiant quant à la construction européenne : » C’est une Europe souffrante, mais nécessaire « .