Rebonds, Libération
Mercredi 8 mai 2013
Par des personnalités allemandes et françaises dont des élus spd et PS
Le projet européen a besoin d’une réorientation. L’austérité tue l’Europe. Le chômage au plus haut depuis
1960 pèse lourd sur le destin d’une génération : il prive d’emploi un jeune sur quatre, un sur deux en Grèce
ou en Espagne. Quand la vie quotidienne devient précaire, les peuples se détournent de l’Europe. A ces
angoisses, la solidarité et la démocratie sont les seules réponses. Dans la tourmente, nous savons
l’importance d’une parole commune. L’Allemagne n’est pas le mal européen. Le mal européen, c’est l’alliance
néolibérale et conservatrice majoritaire incapable de changer de cap, et de reconnaître que «l’austérité sans
fin» dénoncée par François Hollande enferme dans une impasse. Aujourd’hui, Angela Merkel et David
Cameron symbolisent cette politique. L’élection de 2012 a modifié la donne en France, et permis d’espérer
une réorientation en Europe. L’Allemagne aura sa chance aux élections en septembre.
Si l’emploi devient réellement la première priorité de l’Europe, l’urgence est à la stimulation de la demande
pour atteindre le potentiel de production. Nous nous rejoignons sur le retour progressif à l’équilibre budgétaire
pour financer durablement des services publics efficaces. Mais dans une crise aussi sévère, sacrifier les
dépenses publiques et privées condamne toute reprise et précipite la zone euro dans un cercle vicieux
qu’elle paie déjà au prix fort. C’est pourquoi le calendrier de retour à l’équilibre doit être adapté au cycle
économique.
Les réformes structurelles, nécessaires, ne sont pas celles qu’imposent les néolibéraux. Nous le disons
ensemble, la reconquête de la compétitivité passe par un nouveau modèle européen, doté d’une fiscalité
harmonisée. Seule l’amélioration qualitative de l’appareil productif européen permettra la transition vers un
modèle social et écologique durable.
Dans cette nouvelle vague d’investissements réside l’essentiel : dans l’innovation, l’éducation des jeunes, la
formation des adultes, l’enseignement supérieur ; dans la recherche, les infrastructures vertes de la transition
écologique et les réseaux numériques ; dans la diversification des sources de production via les énergies
nouvelles, la réduction de nos consommations et les nouvelles technologies de stockage d’énergies
intermittentes. Les PME, le «Mittelstand» en Allemagne, doivent y prendre une grande place. Ces chantiers
regorgent de défis pour faire de l’Europe le modèle de l’industrie durable et renouvelée du XXIe siècle.
Le culte du «chacun pour soi» aggravera le dumping social et fiscal et conduira à l’agonie du projet européen
! A l’action commune exigeante, se substitueront le retour des affrontements entre les Etats, la concurrence
entre les salariés et les territoires, l’abaissement des standards sociaux, la prédation des ressources et de la
biodiversité. Dans l’Europe moderne, la coopération et la solidarité doivent prévaloir : sans elles, les
Européens seront les déclassés de la mondialisation. Financer ces chantiers d’avenir par un budget
européen digne de ce nom, fondé sur des ressources propres, c’est agir pour le bien commun et l’intérêt
national. Il est encore temps.
Lors du 50e anniversaire du traité de l’Elysée, les Parlements allemands et français déclarèrent : «La
coopération franco-allemande est devenue aujourd’hui un socle naturel et fiable du processus d’intégration
européen. Le rapprochement […] doit inciter à dépasser les égoïsmes nationaux.» Certains y voient une
pieuse nostalgie ou des paroles creuses. Nous en faisons un engagement d’une exceptionnelle gravité.
La longue histoire commune du socialisme démocratique en France et en Allemagne se prolonge par la
volonté d’une nouvelle stratégie économique pour l’Europe, et d’une action concertée entre nos groupes
parlementaires. Ainsi, nous exigeons une vraie union bancaire pour stopper la spéculation financière. Déjà
en 2011, le SPD au Bundestag et le PS à l’Assemblée nationale soumirent simultanément une proposition de
loi sur la taxation des transactions financières : elle devient réalité cette année. Gouverner en Europe est une
affaire qui dépasse les frontières pour se rallier à la force des idées.
Pour aller plus loin, soyons réalistes. Les institutions européennes fonctionnent mal. L’Europe ne peut se
gouverner avec la Troïka (FMI, BCE et Commission européenne). L’Europe manque d’un gouvernement
économique que les socialistes réclament depuis longtemps. Elle souffre surtout d’un terrible déficit
démocratique dont les citoyens payent le prix fort. Les conservateurs privilégient l’Etat-nation pour diviser les
peuples au profit de leurs intérêts particuliers. Le vrai levier du futur devient l’exercice du pouvoir par les
citoyens européens. Les élections européennes de 2014 leur permettront pour la première fois de désigner le
président de la Commission. Elevons le débat, grâce aux mots de Joachim Gauck, le président allemand :
«Continuons d’oeuvrer ensemble à la res publica européenne.» Face à la montée en puissance du
ressentiment européen et aux erreurs répétées du bloc libéral-conservateur, les sociaux-démocrates et les
socialistes, en Allemagne, en France et tous les citoyens bien au-delà, doivent se rassembler pour redonner
à l’Europe son grand projet : la solidarité et la démocratie.
Pour le SPD : Stefan Collignon Professeur d’économie politique Evelyne Gebhardt, Jutta Steinruck Députées
européennes Axel Schäfer Vice-président du groupe SPD au Bundestag Angelika Schwall-Düren Ministre
des Affaires européennes du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie. Pour le PS : Pervenche Berès Députée
européenne Christian Paul, Daniel Goldberg, Dominique Potier Députés Laurence Rossignol Sénatrice.