Fondation Jean-Jaurès
Quelle intégration économique et politique pour la zone euro?
Colloque du 25 mai 2013 organisé par la FEPS et la FJJ,
Table ronde : La solidarité économique et sociale dans la zone euro,
Intervention de Pervenche Berès
Je souhaite d’abord remercier la FEPS et la Fondation Jean Jaurès pour l’organisation de cet événement qui nous permet d’approfondir ensemble des questions essentielles sur lesquelles nous devons articuler nos propositions au regard des prochaines échéances de l’Union Economique et Monétaire (UEM).
Nous devons dire clairement où nous voulons aller, ce que nous proposons. Si nous ne le faisons pas, nous ne serons pas entendus, et nous n’aurons pas ensuite le rapport de force politique nécessaire pour réaliser ce que nous souhaitons. Il y a donc un vrai défi.
Dans ce contexte, les dernières interventions du Président de la République permettent de relancer une dynamique, de la même manière que le gouvernement italien, même dans la complexité de sa composition tel que l’a décrite Massimo d’Alema, apporte une contribution utile.
Avant d’en venir aux propositions, un mot sur le passé. On nous dit que nous sommes dans cette crise parce que nous nous serions trompés de modèle en construisant l’UEM. Personne ne s’est trompé. On savait très bien que c’était un point de départ à partir duquel il fallait continuer à travailler. Depuis le premier jour, Jacques Delors nous a dit : « Il faut deux jambes pour que ça marche ». Or nous ne les avons toujours pas. Simplement, nous avons été paresseux, notamment parce que cela nous a arrangé puisque nous n’étions pas d’accord entre Français et Allemands sur la façon de construire ces deux jambes.
Soyons honnêtes. Jean Pisani-Ferry a très bien décrit cela. Les Allemands parlaient d’union politique et nous de gouvernement économique. On prétendait que ce n’était pas le même sujet alors les deux approches renvoyaient à l’inachèvement de l’UEM et pendant ce temps-là, les Britanniques en ont profité pour nous parler d’un autre sujet, celui du marché intérieur.
Aujourd’hui, il est temps – d’une certaine façon grâce à la crise – de reconnaitre que la dynamique potentielle d’intégration forcée que représente le passage à l’euro nous obligeait à changer l’ordre des priorités et que la question du marché intérieur venait ensuite. Et sur cette voie, nous ne devions pas laisser au bord de la route ce qui fait l’essence même de l’identité européenne, c’est-à-dire la question démocratique et la question sociale.
Je m’excuse auprès de Gilles Finchelstein, car dans l’invitation à ce colloque, la question sociale est évoquée comme « la préoccupation des citoyens ». Ce n’est pas, me semble t’il, la bonne façon de poser la question. S’il n’y a pas de dimension sociale, l’euro ne survivra pas. La question aujourd’hui est de savoir comment on revient au cœur du dispositif. Et de ce point de vue, la démonstration que Massimo d’Alema vient de faire, reprenant en cela l’analyse de Michel Aglietta, est utile. La question qui se pose n’est pas celle de la culpabilité de la périphérie par rapport au centre, mais dans un régime de monnaie unique, celle de la dynamique de création de valeur ajoutée qui s’établie entre le centre et la périphérie ; c’est bien le défi auquel nous sommes aujourd’hui confrontés.
Si l’on en vient aux propositions, les contrats ou ‘instrument de convergence et de compétitivité’, tels qu’ils sont présentés – certains responsables y sont favorables dans la mesure où ils installeraient la Commission dans le rôle du gendarme – ne sont pas conformes à l’esprit de la démocratie européenne. Car ces contrats dans la forme proposée par la Commission, c’est l’établissement d’une démocratie censitaire. C’est ceux qui savent, qui peuvent, qui paient, qui finalement décident ce que les autres doivent faire. Cela ne fonctionnera pas. Le gouvernement économique, cela ne peut pas être cela.
Parmi les idées aujourd’hui très en vogue auprès de Messieurs Barroso et Rehn, il y en a une sur laquelle je voudrais revenir, c’est l’idée de favoriser la migration : puisqu’il n’y a pas assez d’emplois au Portugal ou en Espagne, il faudrait favoriser la mobilité des jeunes notamment pour qu’ils aillent travailler en Allemagne.
C’était la réponse avant que l’Espagne soit dans l’Union européenne, cela ne peut pas être la solution dans l’Union européenne car alors on demanderait à ce pays d’éduquer ses jeunes, tout en ne sortant pas les dépenses d’éducation du pacte de stabilité, pour qu’ils aillent ensuite travailler en Allemagne et reviennent au pays finir leur vie. Ça ne peut pas être le modèle.
Le modèle que nous défendons conduit à assurer la libre circulation des personnes, là où elle est utile, dans l’esprit des principes de base de l’Union européenne, mais pas comme la réponse à la crise. Dans la réponse à la crise, il faut recréer une capacité de vivre et travailler au pays, c’est ça le modèle européen.
Au regard de la solidarité économique elle-même, il y a bien sûr la question de la dette, c’est la question première. Et là, nous devons continuer à plaider pour la mutualisation de la dette. Si on veut le faire dans un esprit européen et de solidarité, cette mutualisation de la dette ne peut pas se faire dans les conditions actuelles, où ce sont les riches qui décident pour les pauvres. Donc je plaide pour que les premières ressources propres qui seront disponibles au niveau de la zone euro aillent au financement des mécanismes de solidarité de la dette, tant que nous n’aurons pas la mutualisation véritable de la dette.
Ensuite, bien sûr, il faut soutenir l’idée d’une communauté européenne de l’énergie, qui nous sort de cette logique bilatérale et qui réarme le projet européen autour d’un vrai enjeu de solidarité, car chacun, autour de ce défi énergétique, qui est aussi le défi du développement durable, a besoin d’avoir une dynamique européenne. Sinon, on en reste à la logique du marché intérieur dont on sait où elle nous a menés.
Pour en venir au volet plus spécifiquement social, je voudrais mentionner quatre points.
La première : cessons de ne parler que des déséquilibres macroéconomiques. Les déséquilibres sociaux sont peut-être le miroir des déséquilibres macroéconomiques, mais si on ne les cite pas, on les oublie. Or ils sont tout aussi importants et tout aussi insoutenables que les déséquilibres macroéconomiques. Ce n’est pas normal que le taux de chômage en Italie, en Espagne, en Grèce soit aussi élevé comparé à celui de l’Allemagne. C’est aussi dangereux que le déséquilibre macroéconomique que nous connaissons.
Deuxième point : dans l’esprit du modèle européen que nous défendons comme progressistes, le slogan « à travail égal, droits et devoirs égaux », est absolument indispensable. Comme FEPS ou FJJ, la question de savoir notamment comment nous parlons avec nos camarades d’Europe de l’est de la directive sur le détachement des travailleurs est importante. Ce n’est pas uniquement pour répondre aux préoccupations des citoyens,…
Troisième point: qu’est-ce que nous entendons par réforme structurelle ? Ce n’est pas la même définition que celle retenue par la Commission. Pour nous, cela signifie maintenir un niveau adéquat de dépense publique en faveur de l’enseignement, de la santé, de ce qui fait le cœur de notre modèle.
Dernier point, le plus ambitieux : après la seconde guerre mondiale, la reconstruction c’est fait autour du welfare State. Aujourd’hui, la réponse que nous devons mettre en avant, c’est cette idée qui commence à émerger, y compris chez nos amis Allemands, mais pas uniquement, d’une indemnité chômage minimum dans la zone euro. Elle permet de tenir compte des déséquilibres et de créer ces fameux stabilisateurs automatiques que nous avons perdus.
Le chemin pour y parvenir peut être long, entre temps, je propose une étape intermédiaire sur laquelle, dans le moment politique où nous sommes la mise en œuvre peut être plus rapide. C’est de le faire autour de la garantie jeunesse qui a été décidée au plan européen de manière paradoxale : c’est une mesure d’urgence inscrite dans des politiques structurelles et qui repose aujourd’hui sur des financements classiques, des dépenses des Etats membres cofinancées par les fonds structurelles de l’Union. Une vraie garantie jeunesse européenne, ce ne serait pas cela. Ce serait un mécanisme financé au niveau européen comme un stabilisateur européen de contribution à la réduction des déséquilibres.
Je sais qu’en termes macroéconomiques, ça n’aura pas le même effet qu’un socle commun d’indemnité chômage minimum, mais compte tenu de la prise de conscience du risque que représente le niveau du chômage des jeunes dans certains Etats membres, il y a sans doute là un levier pour aller vers cette intégration indispensable dans un dispositif à la fois social et démocratique.
Je vous remercie.