L’allègement du fardeau de la dette des pays européens permettrait de relancer la croissance, de l’avis général. Mais la création d’un fonds de rédemption et d’eurobligations, sur lequel planchent des experts, bute sur la notion de solidarité.
Belle idée sur le papier, la mutualisation de la dette des pays européens alimente un vif débat. Faut-il tenter d’aller plus loin dans l’intégration économique en créant des obligations européennes et un fond pour abriter les dettes à risque ? Ou au contraire laisser les outils déjà en place être peu à peu mis en œuvre, comme le 2 pack, le 6 pack, qui permettent de surveiller les finances des États membres ?
La Commission européenne avait demandé l’été dernier à un groupe d’experts un rapport sur le sujet. Présenté le 1er avril à la Commission économique et monétaire du Parlement européen, il a fait l’objet d’un débat intense, sur des thèmes finalement très politiques : faut-il plus ou moins d’Europe, plus ou moins de solidarité, plus ou moins de coopération en matière de gestion du budget et de la fiscalité.
Malgré les problèmes de croissance en Europe et le chômage qui y est associé, des sujets partiellement liés au surendettement des Etats, les auteurs du rapport se sont montrés prudents.
La dette, un risque pour le futur qui coûterait moins cher s’il était partagé
« La crise de la dette actuelle représente un risque futur. Si des émissions communes de dettes pouvaient permettre de limiter le risque, notamment pour les pays les plus endettés, elles ne doivent pas se substituer aux efforts indispensables que doivent faire les pays pour retrouver l’équilibre budgétaire » prévient l’équipe d’experts, mené par une ancienne de la Banque Centrale Européenne, l’autrichienne Gertrude Tumpel-Gugerell.
Les niveaux de dette en Europe ne cessent de progresser dans plusieurs pays, comme la France, l’Espagne ou l’Italie.
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Le rapport envisage deux étapes dans la mutualisation des dettes souveraines des pays de la zone euro. La première porte sur la création d’obligations de court terme, ou titres publics de court terme, qui permettrait aux Etats de se refinancer avec un taux d’intérêt unique. Un mécanisme qui permettrait d’éviter les crises de liquidité, les Etats pourraient toujours emprunter à un taux d’intérêt modeste. Pour l’heure, les Etats les plus endettés ne peuvent émettre d’obligations nouvelles sans les payer au prix fort. Donc ils peinent à se refinancer, et le service de la dette progresse.
Un fonds d’amortissement pour gérer la dette excessive
La seconde idée serait de rassembler toutes les dettes « en excès », soit la part de la dette supérieure à 60 % du PIB, dans un fonds magique : le fonds de « rédemption» en anglais, ou fonds d’amortissement, qui rachète la dette arrivant à échéance.
En cumulé, les parts de la dette supérieur à 60% des pays de la zone euro représenterait aujourd’hui 2500 milliards de d’euros qui pourraient être mise en commun.
Le fait de mutualiser les créances douteuses permettra en effet de supprimer toute hypothèse de faillite d’un État. Et donc d’éviter que les marchés spéculent sur ce thème et fassent monter les intérêts de la dette. Mais aussi d’éviter aux États d’entraîner leurs propres banques dans leurs déboires.
« Près de la moitié des capitaux des banques européennes sont exposés aux dettes d’État, souvent de leur propre État. Ce qui est normal : les taux d’intérêt de la Banque Centrale européenne étant proche de 0, les obligations d’État permettent de récupérer un minimum de 2 % de rendement » constate Graham Bishop, l’un des auteurs du rapport. « Mais si la dette d’un État dérape, on risque de se retrouver avec des banques qui font défaut. Il faut lutter contre cette boucle infernale entre les banques et les États » ajoute l’expert britannique.
Nouveau traité européen dans la balance
La question de la nécessité de réviser ou non les traités tient une bonne place dans le débat. Les experts mandatés par la Commission suggèrent soit d’utiliser les textes actuels qui autorisent la « coordination des politiques fiscales », et donc par extension, la gestion de la dette, pour que les États puissent mettre en place de nouveaux outils de financement par le biais d’un accord intergouvernemental. Ils laissent ainsi la décision de mutualiser la dette aux mains des États. Dans une autre hypothèse, le changement de traité devient indispensable.
« Le problème c’est que ce dispositif est contradictoire : on veut mettre en place un mécanisme pour compenser les déséquilibres macroéconomiques, mais on réintroduit le caractère censitaire de la décision. Ne faudrait-il pas mieux une fois pour toutes aborder le problème de front, et changer de traité comme ne cesse de le répéter Wolfgang Schaüble, le ministre des finances allemand ?» a demandé l’eurodéputé socialiste Pervenche Berès.
Les hésitations de l’Allemagne sur l’idée d’une mutualisation de la dette au sein de la zone euro sont connues. Comme les auteurs du rapport, l’Allemagne vertueuse craint que les pays les plus endettes ne soient tentés par le risque de faire cavalier seul une fois le dispositif mis en place, et cessent de faire des efforts drastiques pour résoudre leurs problèmes budgétaires. Le fait de laisser aux États membres de la zone euro la main mise sur le dispositif risque de vider l’outil de son premier objectif, qui est de partager les risques.
Mutualiser la dette, une décision politique
« Au final, êtes- vous pour ce mécanisme, ou contre ? » s’est interrogé Ölle Schmidt, député suédois. « Parce que c’est essentiel, si vous voulez que des pays qui ne sont pas dans l’euro zone la rejoignent, que vous ayez foi dans les mécanismes que vous imaginez ! »
Le député belge Philippe Lamberts a de son côté inversé la question, demandant s’il était possible d’évaluer le coût de la non action. « Je vis dans un monde réel, et dans ce monde, de grands États membres ne parviennent pas à respecter le ratio de dette/PIB » a souligné le député, insistant sur le caractère structurel du ralentissement économique induit par la dette.
Des questions qui inspirent des réponses prudentes de la part des auteurs, au grand dam des députés qui attendaient des positions plus tranchées.
« Il est vrai que ce coût peut être important, notamment en terme de croissance faible induite par la dette. Mais il ne faut pas oublier que le fait de mutualiser la dette ne représente pas la seule solution envisageable » a notamment répondu Beatrice Weber di Mauro, experte des questions de dette et membre du directoire d’UBS.
Des outils nécessaires en cas de nouvelle crise
En fait, conseiller ou non l’adoption de ces outils reviendrait à porter un jugement sur les dispositifs existant ; une position plus politique qu’économique.
Agnes Benassy-Quéré, professeur à Paris I Panthéon Sorbonneet co-auteur du rapport, explique à EurActiv que le fonds d’amortissement et les eurobonds seront surtout nécessaires en cas de nouvelle crise financière.
« On a l’impression que la crise financière est passée, et on a un faux sens de l’apaisement aujourd’hui, prévient l’économiste. Mais il faut être attentif : les dettes de l’Italie, de la France et de l’Espagne pourraient très bien déraper rapidement. Il n’est pas évident que le dispositif mis en place pendant la crise fonctionne à ce moment-là ! On évolue actuellement dans l’environnement d’outils qui ne nous semble pas très sûr. Le dispositif des Outright Monetary Transactions de la Banque Centrale européenne, qui est le principal outil anti-crise, on ne sait pas s’il fonctionnera réellement. De même, on s’aperçoit que le Mécanisme Européen de Stabilité est aujourd’hui trop petit pour l’Italie » constate l’experte.
Le rapport désormais remis à la Commission partante n’aura de toute façon pas d’impact à court terme. À moyen terme, il pourrait contribuer à répondre aux maux de l’Europe.
« Il y a un aspect social à prendre en compte, les Européens risquent de secouer le système politique à l’occasion des élections du 25 mai prévient Agnès Benassy-Quéré. Et il faudra bien faire quelque chose pour lutter contre le chômage notamment. Nos propositions s’inscrivent dans une logique macroéconomique plus large : elles permettent aux États de retrouver des taux d’intérêt plus bas, ce qui favorise aussi l’investissement des entreprises »