Tribune de la Délégation socialiste française au Parlement européen
Les dernières élections européennes ont vu naître une grande première : les partis politiques ont parlementarisé l’Union européenne en proposant que le candidat arrivé en tête soit désigné par le Conseil européen et chargé de constituer une majorité au Parlement européen. Monsieur Juncker n’était pas notre candidat, ni celui des Socialistes et des Radicaux européens. Ensemble, nous avons soutenu Martin Schulz. Mais nous n’avons pas gagné.
Nous avons deux objectifs : poursuivre la démocratisation de l’Europe et réorienter celle-ci par une relance de l’investissement et de l’emploi.
Le candidat du parti arrivé en tête n’a pas de majorité à lui seul : ainsi nous pouvons mettre en place un rapport de force pour infléchir le programme de travail de la Commission. Ce saut démocratique nous donne de nouveaux atouts pour peser sur le programme du candidat, mais aussi pour le juger et influencer sa mise en œuvre tout au long de son mandat.
A l’échelle de l’Union, sous l’impulsion du président de la République lors du Conseil européen du 27 juin dernier, nos idées pour réorienter l’Europe progressent. Notre tâche de parlementaires est de traduire cette dynamique, de renforcer notre influence et notre action là où c’est possible, dans les engagements que le candidat prend devant nous.
Avec le Parti socialiste, avec le Parti socialiste européen, avec le groupe des Socialistes et Démocrates nous avons lancé nos propositions dans le débat public. Nous avons demandé une discussion franche sur la feuille de route de la prochaine Commission car, pour nous, le contenu du projet prime sur ceux qui le portent ; nous avons obtenu cette discussion.
Nous avons entendu Monsieur Juncker devant notre groupe et en plénière dire qu’il était candidat parce qu’il n’aime pas l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui, dire sa priorité en faveur de la croissance et de l’emploi, accepter d’utiliser la flexibilité du Pacte de stabilité et de croissance, soutenir la libre circulation des travailleurs et la dimension sociale des politiques économiques, s’engager sur la taxation sur le lieu de production, ré-ouvrir la directive détachement des travailleurs, plaider « à travail égal, droits égaux », prôner des ressources propres, vouloir organiser l’immigration légale ou juger inutile tout mécanisme de règlements des différends.
Certes, tout cela vient en écho à nos propositions parce que nous avons été unis dans les demandes, responsables et, au terme de notre stratégie, influents. Toutefois, l’audition de Monsieur Juncker nous a confirmé la différence entre la gauche et la droite de l’Hémicycle. Pour l’instant, nous ne sommes pas convaincus qu’il tiendra suffisamment compte de nos propositions pour répondre au désarroi et à la défiance de ceux qui souffrent des politiques d’austérité. Nous voulons qu’il s’engage plus loin avant de pouvoir compter sur nos voix.
Quelles sont les mesures que nous voulons voir mises en œuvre le plus rapidement possible ?
Les besoins en investissement pour la croissance et l’emploi en Europe se chiffrent à 200 milliards d’euros par an. C’est pourquoi nous militons depuis longtemps pour un assouplissement des règles du Pacte de stabilité : Monsieur Juncker s’est déclaré favorable à un « Pacte de stabilité avec flexibilité ». Il doit utiliser pleinement les conclusions du Conseil européen comme point d’appui. Il faut ouvrir le débat sur les dépenses à exclure du calcul des déficits : contributions nationales au budget européen ? Dépenses en matière de défense ? Investissements dans le numérique ? Dans les infrastructures ? Nous voulons des engagements lisibles.
Le budget européen, voté en 2013, n’est pas à la hauteur. Le Parlement avait alors conditionné son vote à une révision budgétaire : le candidat-président ne s’est pas montré défavorable à notre proposition, mais n’a pas, pour l’instant, pris d’engagement suffisant en termes de calendrier ou de contenu. A nos yeux, le budget européen doit enfin devenir un outil de stabilisation macro-économique au sein de l’Union, mobilisant tous les moyens, comme les garanties de projets ou la BEI.
Le chômage, qui touche 5 millions de jeunes, est pour nous un sujet majeur. Monsieur Juncker refuse, pour l’instant, de porter la dotation de la garantie jeunesse à 21 milliards d’euros, au motif que les 6 milliards déjà alloués ne seraient pas encore consommés. Mais nous savons que cette somme est insuffisante et nous maintenons que cette mesure doit s’appliquer aux jeunes jusqu’à 30 ans.
Sur la convergence fiscale et sociale, qui nous permettra de mettre fin à la concurrence déloyale intra-européenne, sur l’immigration, sur le juste échange pour lutter contre la concurrence déloyale extra-européenne, là aussi nous souhaitons plus de volontarisme.
Bref, pour nous, même s’il est un candidat pro-européen, il ne nous est pas possible, aujourd’hui, de voter en faveur de Monsieur Juncker.
Parce que nous avons fait ce choix de responsabilité, parce que nous devons peser et négocier pour obtenir plus de garanties et de réelles avancées pour sortir l’Europe et ses citoyens de la crise qu’ils traversent : unis, nous choisissons de nous abstenir, de peser sur le rapport de force et de rester en pointe d’un combat où l’exigence et la vigilance seront de tous les instants. Où chacune de nos voix sera âprement négociée, notamment quand nous aurons à juger de la volonté et de la capacité de chacun des commissaires et du futur collège dans son ensemble. Où nous placerons le président de la Commission et le collège des commissaires sous surveillance renforcée. Où nous démultiplierons tout notre potentiel et utiliserons les leviers dont nous disposons pour réorienter l’Union vers plus de prospérité, de justice, de solidarité. Pour que l’Europe cesse enfin d’être le problème pour les Français et les Européens et redevienne la solution aux yeux des citoyens.