Tribune de Pervenche Berès parue dans le Huffington Post, le vendredi 26 juin 2015
L’Europe, avec la cinquième réunion « de la dernière chance » de l’Eurogroupe en dix jours, doit, selon nos souhaits et nos espoirs, aboutir à une solution entre Athènes et ses créanciers, samedi 27 juin. A trois jours d’une échéance fatidique qui menace l’Euro d’une sortie de la Grèce -le fameux « Grexit »- il est temps que la raison l’emporte pour déboucher sur un accord durable et global, comme le demande le président de la République.
Cette crise incroyable donne le spectacle affligeant d’une mauvaise tragédie dont les dirigeants européens et le FMI sont les acteurs, et les peuples européens, avec le peuple grec aux premières loges, les spectateurs. Elle montre l’urgence de changer le fonctionnement de la gouvernance économique : hormis le contexte politique et social, le cas grec n’est pourtant pas l’un des plus compliqués, tant les sommes en jeu sont dérisoires. Et, pourtant, l’Europe est au bord du précipice…
Ces long mois de négociation nous interpellent, alors que pendant ce temps, la situation économique et sociale grecque continue à se dégrader et que c’est cette situation qui a conduit le peuple grec à porter Syriza au pouvoir. Aujourd’hui, l’urgence, c’est de parvenir à un accord qui permettra de traiter la question de la dette. Mais, dès demain, il faudra de manière toute aussi urgente en tirer les enseignements. Que faisait le FMI dans cette négociation ? A quel moment fallait-il envoyer des messages politiques clairs?
Malgré son importance, le chantier prioritaire de la gouvernance économique et de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire a néanmoins été une nouvelle fois repoussé hier soir par les chefs d’Etat et de gouvernement. Exit des débats le rapport des cinq présidents et celui du Parlement européen.
L’Europe doit réécrire la fable des trois petits cochons, comme l’a résumé l’eurodéputé Jakob von Weizsäcker dans le débat sur mon rapport sur l’avenir de l’Union économique et monétaire: le premier petit cochon construit une maison en paille, c’est le traité de Maastricht. L’idée est excellente, mais elle ne résiste pas à la crise. Le deuxième petit cochon bâtit une maison en bois, c’est le Mécanisme européen de stabilité et l’Union bancaire. Seulement voilà, c’est une maison inhabitable, encombrée d’étais, de poutres, qui soutiennent le toit et les murs, et rendue fragile par les règles du « six pack ». Instable, la maison risque à nouveau de s’effondrer.
C’est la raison pour laquelle il est temps d’édifier une maison en pierre, comme le préconise mon rapport voté par le Parlement européen: il y a urgence, car le loup n’est pas loin.
L’Europe doit maintenant achever l’Union économique et monétaire en revoyant de fond en comble la gouvernance économique européenne; c’est le seul moyen de remettre l’Europe sur la voie de la prospérité, d’une croissance soutenable et créatrice d’emplois. Pour cela, il faut réitérer l’exploit qu’a constitué l’Union bancaire.
Pour construire une Union économique et monétaire plus solide, il faut corriger ses défauts d’origine et ceux accumulés dans la gestion de la crise. D’abord, il s’agit de penser européen : nous voulons une analyse économique globale de la situation économique, à l’échelle de l’Union européenne. La gouvernance économique européenne ne peut pas se baser sur l’analyse de 19 politiques économiques nationales, étudiées séparément les unes des autres, alors que les divergences entre elles s’accroissent.
L’autre réflexion que nous devons avoir, c’est celle de la flexibilité: si des règles budgétaires corsettent les investissements publics et privés d’avenir, elles sont contre-productives. La zone euro ne doit plus laisser filer son niveau d’investissement alors qu’elle doit avec l’Union européenne réussir, entre autres, la transition écologique et numérique, et relever le défi de l’emploi.
La zone euro doit aussi impérativement se doter d’un mécanisme de gestion de la dette et abandonner la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne, FMI).
Enfin, sur la question des réformes structurelles: faute de définition, ces mots sont trop souvent synonymes de dérégulation du droit du travail et de baisse du coût du travail. Pour nous, une bonne réforme structurelle a des effets sociaux, environnementaux et économiques positifs pour les citoyens.
Plus de démocratie, avec un renforcement du rôle du Parlement européen dans la gouvernance économique; plus de convergence fiscale; plus de solidarité, avec l’ajout d’un pilier social fort; plus de budget, avec des ressources propres pour l’Union européenne: nous appelons les chefs d’Etat et de gouvernement, ainsi que le président de la Commission européenne, à se saisir rapidement de ces propositions, afin d’empêcher l’Europe de se fracasser sur le mur de l’inaction.