Il faut éviter le Brexit, mais pas à n’importe quel prix

Interview parue dans Le Monde le 17 décembre 2015 | Propos recueillis par Philippe Bernard (Londres, correspondant)

Députée européenne, présidente de la délégation socialiste française au Parlement européen, Pervenche Berès dit craindre une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’Union, en cas d’échec des négociations amorcées avec Londres. Soulignant que la lettre adressée, début novembre, par le premier ministre britannique, David Cameron, à Donald Tusk, le président du Conseil européen, « est plus ouverte que prévu », elle dit craindre une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’Union, en cas d’échec des négociations amorcées avec Londres. « Le Brexit ne garantit nullement la solidité de l’axe franco-allemand et une rupture avec les Britanniques affaiblirait et déstabiliserait l’Union », assure-t-elle.

En 2016, les électeurs britanniques pourraient voter en faveur du « Brexit » (sortie de l’Union européenne). Cette perspective vous inquiète-t-elle ?

C’est une menace non seulement pour le Royaume-Uni mais pour l’Union européenne [UE] tout entière. Le Brexit aurait des conséquences bien plus graves qu’une hypothétique sortie de la Grèce de la zone euro. David Cameron, parce qu’il se heurte aux eurosceptiques du parti conservateur, a embarqué son pays et l’Union européenne, elle-même, dans cette aventure risquée. La boîte de Pandore des demandes de renégociation de chaque Etat pourrait s’ouvrir au moment même où la nécessité est de renforcer les coopérations et l’UE.

Estimez-vous sérieux le risque de sortie du Royaume-Uni ?

La presse Murdoch [les tabloïds] met depuis vingt ans ce pays sous intraveineuse antieuropéenne. Quant à M. Cameron, il attend le résultat des négociations [avec les autres pays européens] pour indiquer clairement son choix et ne peut pas faire campagne pour l’instant. Il a perdu beaucoup de temps parce qu’il voulait que les autres pays lui disent ce qu’ils étaient prêts à lui concéder, autrement dit que l’on fasse son travail à sa place. Pendant ce temps-là, le camp du « non à l’Europe » martèle son message car il n’attend rien des négociations. Dans ce contexte, une dynamique proeuropéennes est difficile à installer.

Dans la phase actuelle de négociation, chacun prend une posture, en particulier M. Cameron qui veut montrer à ses électeurs qu’il se bat. Un compromis est-il possible ?

M. Cameron doit probablement mimer la bagarre, mais la lettre qu’il a adressée début novembre à Donald Tusk, le président du Conseil européen, est plus ouverte que prévu. La solidarité que M. Cameron a manifestée avec la France et le vote au Parlement britannique qu’il a obtenu en faveur de frappes en Syrie, sont de bonnes nouvelles. La valeur ajoutée du Royaume-Uni est notamment là : dans les domaines diplomatique et militaire. Mais attention, si chacun tire trop sur la corde, tout le monde tombera dans la fosse !

L’une des quatre demandes de David Cameron concerne la protection du Royaume-Uni contre les décisions de la zone euro. Pensez-vous qu’elles doivent être satisfaites ?

Il ne faudrait pas oublier que le Royaume-Uni est, après l’Allemagne, le pays qui a le plus profité de la création de la zone euro car la City s’est imposée comme sa place financière, de fait. Les Britanniques voudraient un droit de regard permanent sur l’Union économique et monétaire [UEM], dont ils ne sont pas membres. Or celle-ci, dont l’euro est la poutre faîtière, ne peut pas être prise en otage.

Le premier ministre réclame aussi la suspension des prestations sociales pendant quatre années pour les nouveaux migrants intra-européens. Est-ce acceptable ?

Il s’agit d’un problème lié au système social britannique qui n’exige pas de cotiser pour bénéficier de prestations. Il est monté en épingle parce que M. Cameron veut donner l’impression qu’il répond aux inquiétudes liées à l’immigration. Dans ce domaine, le modèle communautariste britannique est aussi bousculé que le modèle français d’intégration républicaine. Mais modifier le droit communautaire et remettre en cause la libre circulation des personnes n’est sûrement pas la bonne réponse.

Beaucoup de Français estiment que le départ des Britanniques renforcerait l’Union européenne. Qu’en pensez-vous ?

Il s’agit d’une illusion. Ce n’est pas eux qui nous empêchent d’avancer et ils ont beaucoup à nous apporter quand il s’agit de défendre les libertés individuelles ou pour lutter contre le terrorisme. Le Brexit ne garantit nullement la solidité de l’axe franco-allemand et une rupture avec les Britanniques affaiblirait et déstabiliserait l’Union. Il faut l’éviter, mais pas à n’importe quel prix.

Le débat Britannique ne risque-t-il pas d’alimenter la rhétorique antieuropéenne de l’extrême droite française ?

François Hollande n’échappera pas à la question européenne en 2017 car le Front national lui imposera. La gauche a intérêt à être à l’initiative dans ce domaine. Nous sommes à un moment où les Européens convaincus comme moi constatent que la méthode des petits pas non seulement ne marche plus, mais est contre-productive. Regardez Schengen et la situation de crise qu’il a fallu pour mettre en œuvre une réelle politique de contrôle des frontières extérieures. Il faut donc profiter des demandes de clarification britanniques et des appels à la solidarité de l’Allemagne dans la crise migratoire pour mettre d’autres cartes sur la table en matière de politique d’immigration et d’union monétaire et bancaire.

Quel doit être selon vous le message de Paris dans les négociations avec Londres ?

La France doit dire ce qu’elle veut pour l’Europe. Nous ne devons pas raser les murs pour « sauver le soldat Cameron ». Passer nos exigences sous silence serait la pire des choses. Pour nous aussi, c’est le moment de passer à l’offensive pour clarifier notre projet européen.

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