La France doit dire ce qu’elle veut pour l’Europe

Interview parue dans l’Hebdo des Socialistes le 26 février 2016

Le salon de l’agriculture s’ouvre sur fond de crise. Quels leviers peut-on utiliser au niveau européen pour aider les agriculteurs ?
Il est nécessaire de différencier les crises. Pour le lait, la question est celle de la régulation du marché, avec la suppression en 2009 de quotas qui existaient depuis 1984 –nous avions voté contre à l’époque. Il paraît nécessaire de revenir à une régulation par les volumes et les prix
Pour le porc, il y a une stratégie très industrielle conduite par l’idée qu’il faut produire pour l’exportation, donc avec un rendement maximal. C’est lié à l’échelle européenne à la volonté de spécialisation par zone : certaines dédiées à l’élevage porcin, d’autres aux ovins ou aux céréales. Quand il y a une crise sur l’un des secteurs, la zone est touchée de manière excessive.
Cette « polycrise » de l’agriculture nous oblige à repenser les objectifs de la PAC : Doit-on produire un maximum à l’exportation, ou contribuer à l’équilibre entre les territoires, aux emplois, à la sécurité alimentaire des Européens ? Nous souhaitons miser sur une agriculture durable et de qualité. Plutôt que le zonage, il faut favoriser la diversification et la relocalisation des productions ainsi que la régulation des marchés. Il faut également remettre en cause la subvention à l’hectare qui privilégie la concentration des exploitations et constitue un handicap à l’installation des jeunes agriculteurs et complique la transmission. Souvent ce sont les seules entreprises capitalistiques, les fonds d’investissement chinois par exemple, qui peuvent racheter les grandes propriétés.
En 2016 la révision du cadre financier pluriannuel doit nous permettre de faire passer ces principaux messages, avant la bataille de fond sur la réforme de la PAC en 2017. Nous avons besoin de cette réflexion cadre, mais elle prend du temps et la situation est urgente ; la réforme de la PAC doit redonner de l’espoir et des perspectives aux générations futures.
En quoi la négociation du traité transatlantique peut-elle influer sur l’agriculture européenne ?
Avec les Etats Unis nous avons une différence culturelle de fond ! A nos indications géographiques protégées s’opposent leur marque. Les demandes américaines ont un impact sur la culture OGM, le développement du bio, l’autorisation de pesticides… A l’angle purement agricole s’ajoute le volet environnemental et celui de la qualité des produits. C’est pour cette raison que lorsque nous avons adopté le mandat de négociation, nous avons défini des lignes rouges à ne pas dépasser. Au-delà de la question agricole, elles concernaient pour ne citer qu’exemple la protection des données personnelles.
La France pousse en outre à ce que cet accord soit mixte, c’est-à-dire qu’en plus d’être autorisé par le Parlement européen, il le soit par les parlements de chaque Etat-membre.
Ce traité ne risque-t-il pas de diminuer les pouvoirs du législateur ?
Deux questions sont importantes : les tribunaux arbitraux et la coopération réglementaire. Si cette coopération réglementaire est mise en œuvre, cela va nécessiter avant le vote d’une loi, d’avoir l’accord de son partenaire commercial, afin de ne pas modifier l’équilibre des règles entre les Etats-Unis et l’UE.
Quant aux tribunaux arbitraux, il faut rappeler qu’ils avaient été créés dans le cadre d’accord avec des pays ayant un système judiciaire défaillant afin de rassurer les investisseurs venant de pays avec une justice développée. Entre deux espaces démocratiques ils n’ont pas lieu d’être. On peut envisager une cour spéciale, mais pas une justice privée. La Commission a élaboré de nouvelles propositions, mais elles ne vont pas encore assez loin.
Comment redonner confiance en l’Union européenne ?
De nombreuses crises touchent l’Europe en même temps : l’afflux de réfugiés, l’urgence de renforcer la zone euro, le risque de Brexit, le dumping fiscal et social… Face à toutes ces crises, on a l’impression que l’Europe est coupable. Or, la France doit dire ce qu’elle veut pour l’Europe. Si nous en disons rien, nous serons les fossoyeurs de l’UE. Cela ne suffit pas d’expliquer que tous les maux sont de la faute de Juncker. La France doit prendre l’initiative sur les projets européens, c’est le meilleur moyen de réconcilier les Français avec l’Europe, plutôt que de leur proposer uniquement le libre-échange. Il faut commencer par renforcer la zone euro pour favoriser l’investissement et qu’elle ne soit plus uniquement au service de règles fétichistes qui ont abouti aux politiques d’austérité.
Propos recueillis par Sarah Nafti

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