Sauvons la sidérurgie européenne !

Tribune parue dans Médiapart
Vendredi 26 février 2016

Pervenche Berès, présidente de la délégation des socialistes français au parlement européen; Edouard Martin, député européen du groupe socialiste et démocrate et Gianni Pittella, président du groupe socialiste et démocrate au Parlement européen

L’industrie européenne de l’acier – déjà affaiblie par la crise économique de 2008 – souffre à nouveau; cette fois de pratiques commerciales déloyales. Aujourd’hui, la concurrence internationale s’est intensifiée. La sidérurgie européenne subit de plein fouet les effets de la surcapacité chinoise estimée entre 300 et 400 millions de tonnes par an. Depuis 2008 plus de 60 000 emplois directs et plus de 100 000 emplois indirects ont déjà été perdus.
L’Union européenne ne peut pas rester passive. Elle doit agir sans tarder pour sauver un secteur au bord du gouffre. Si aucune mesure n’est prise, la crise que traverse actuellement le secteur de l’acier est annonciatrice d’autres crises beaucoup plus graves encore.
Nous appelons les ministres européens de l’industrie et la Commission, qui se réunissent lundi prochain à Bruxelles, à prendre des mesures fortes pour répondre aux nouveaux défis qui se posent : le dumping chinois, la reconnaissance du statut d’économie de marché à la Chine, et la réforme de l’ETS (le système d’échange de quotas de CO2).
Le rapport d’Edouard Martin sur les industries des métaux de base a été largement soutenu par les eurodéputés. Il pose les jalons d’une stratégie à moyen et long terme. Elle présente des solutions viables pour remédier à la situation précaire de l’industrie européenne de l’acier et d’autres industries à forte intensité énergétique.
Ces propositions visent à maintenir une base industrielle forte en Europe tout en atteignant des objectifs environnementaux et sociaux ambitieux. Il s’agit d’une part de faire le plein usage des instruments de défense commerciale déjà à disposition, en conformité avec les règles de l’OMC; et d’autre part de soutenir et moderniser l’appareil de production européen pour le rendre plus propre et plus efficace.
En premier lieu, la Commission doit utiliser tout son arsenal pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales, y compris les mesures antisubventions, afin d’assurer une concurrence équitable. Nous saluons le lancement de l’enquête sur les aciers plats laminés à chaud en provenance de Russie et de Chine.
Mais cela ne suffit pas et on peut faire beaucoup mieux !
Nous ne devrions pas attendre que les dommages causés par des pratiques déloyales deviennent irréversibles pour notre industrie et nous devrions prendre exemple sur d’autres économies dans le monde.
Dans le cadre offert par le règlement antidumping européen actuel, la Commission devrait être prête à ouvrir des enquêtes « d’office » et mettre en place des mesures sur le terrain dès lors que la « menace de préjudice » où la preuve le justifie.
Nous demandons également à la Commission d’accélérer ses enquêtes car il y a danger de mort pour l’industrie européenne.
Mais nous demandons aussi au Conseil de débloquer urgemment le paquet de révision de ces instruments de défense commerciale, car si nous reconnaissons le rôle du libre-échange dans le commerce mondial, celui-ci doit reposer sur des règles du jeu équitables pour tous.
À ce titre, nous dénonçons publiquement l’attitude de certains pays qui bloquent en huit-clos cette révision tout en appelant officiellement à des mesures d’urgence.
Et dans ce contexte tendu, nous exprimons notre conscience du péril lourd que ferait peser l’octroi par l’UE du statut d’économie de marché à la Chine.
En second lieu, nous devons soutenir l’investissement à long terme et le développement durable de l’industrie. Il s’agit de développer des technologies et processus de production à faible teneur en carbone, par l’efficience énergétique, à travers les programmes de recherche européens ou via le Fonds européen d’investissements stratégiques.
C’est une industrie propre que nous appelons de nos vœux.
En ce sens, nous soutenons l’accord historique obtenu à Paris lors de la COP21.
En outre, l’UE devrait continuer de promouvoir l’introduction d’un prix carbone global afin d’éviter que les industries européennes subissent une concurrence déloyale sur ce plan.
Mais d’ici à l’instauration de ce prix carbone, l’Union européenne devrait envisager un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ». Ce mécanisme, qui n’est pas une taxe et qui est en accord avec les règles de l’OMC, serait un outil efficace pour lutter contre les risques de fuite carbone.
Ce serait un signal politique fort envoyé à l’industrie dans le monde : « vous pouvez vendre sur le marché européen mais en respectant nos standards environnementaux. »
Si l’Union ne fait rien, nous allons exporter nos emplois et importer la pollution.
Nous sommes par ailleurs convaincus que l’expertise, la connaissance et l’engagement des travailleurs de l’industrie sidérurgique doivent être pleinement reconnus.
Nous soutenons et encourageons la création des comités locaux d’information et de consultation pour la prévention des risques industriels. Les employés doivent être impliqués dans les choix stratégiques de l’entreprise et dans la prise de décision au sein de leurs industries.
Ces questions ne concernent pas uniquement la compétitivité de la seule sidérurgie européenne aujourd’hui. Ce qui est en jeu, c’est la souveraineté économique à long terme de l’Union européenne toute entière. Il est grand temps d’agir.
L’Europe n’a pas le droit d’abandonner les ouvriers de la sidérurgie.
Ne rien faire donnerait une fois de plus du grain à moudre à toutes les forces politiques qui remettent en cause la légitimité du projet européen.
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