Le budget de la zone euro porte un message politique fort

Mardi 22 mars 2016
Interview parue dans EurActiv.fr
Aline Robert

La réflexion autour d’un budget propre à la zone euro, qui permettrait d’amortir les chocs cycliques, progresse rapidement ces derniers mois. Le Parlement européen peaufine ses propositions, et deux conseils européens se pencheront sur le sujet d’ici la fin de l’année.
Eurodéputée, Pervenche Berès est à la tête de la délégation socialiste française et membre de la délégation des affaires économiques et monétaires. Elle prépare un rapport sur le budget de la zone euro pour fin avril.
Pourquoi la question du budget de la zone euro redevient-elle d’actualité ?
Parce que les positions évoluent ! On peut le voir ne serait-ce que dans les conclusions du dernier Conseil européen : il est rappelé qu’il faut relancer l’investissement, notamment parce que le plan Juncker est insuffisant. Et puis on a aussi un calendrier : le Conseil européen du mois de juin doit se pencher sur l’achèvement de l’Union économique et monétaire. Mais c’est en décembre que la question d’un budget de la zone euro sera vraiment traitée par le Conseil européen ; à cette date, le Parlement européen aura fini son travail sur le sujet, qui porte aussi un volet sur la réforme des traités, sur lequel travaille Guy Verhofstadt.
Est-ce que la question du Brexit aurait paradoxalement donné une impulsion à l’approfondissement de l’UEM ?
C’est plus compliqué. S’ils partent, cela obligera à bouger, et s’ils restent, il faudra éviter que cela pose problème, aussi. L’UE est un objet flottant comme une méduse dans l’eau, dont le Royaume-Uni serait un tentacule. Et la tentacule fait de toute façon dériver, la méduse : qu’elle soit toujours là, ou coupée, elle aura un impact sur le trajet de la méduse. Ce qui est certain c’est que le sujet Brexit a décentré la méduse de sa trajectoire normale, qui est celle d’une union toujours plus étroite.
Si elle ne veut pas être déportée, elle doit corriger sa trajectoire.
Quelle est la motivation première de cette évolution institutionnelle ?
Il y a un message politique fort derrière le projet : « cette fois on y va, il faut des outils contra-cycliques face aux aléas de la croissance ». La justification première d’un budget de la zone euro c’est sa stabilisation. L’absence d’outils de politique budgétaire nuit clairement aux économies de la zone euro.
Quelles seront les autres fonctions de ce budget à 19 ?
La seonde priorité est l’investissement. Il faut bien reconnaître que le Pacte de stabilité et les règlementations prudentielles sur les banques européennes pénalisent directement l’investissement : les banques sont plus frileuses, elles prêtent moins, parce qu’on leur a dit de prendre moins de risques. Mais ensuite il faut définir sur quels secteurs vont porter les investissements : faut-il définir un bien public européen ? Mais en quoi serait-il limité à la zone euro ? Ce sont des enjeux compliqués à résoudre.
Le troisième objectif, qui est la convergence économique, fait-il autant consensus que les autres ?
D’un point de vue théorique oui ; mais d’un point de vue politique, il est plus compliqué à appréhender. Sauf si l’on définit quelques critères de convergence : un salaire minimum, la fiscalité des entreprises par exemple. On pourrait inventer de nouveaux critères de Maastricht, qui ont une vertu, c’est de proposer un cadre commun progressivement adopté par tous les pays.
Quel serait le contour de cette future organisation de la zone euro ?
Il faut éviter la limite du pacte budgétaire européen, dont la Commission européenne est seule responsable avec la Cour de justice. Il faudrait que le Parlement européen soit à bord pour prendre part aux décisions de l’administration de la future zone euro, mais en format restreint. La question de la différenciation se pose nécessairement : seuls les élus de la zone euro auront un droit de vote sur le sujet. Pour cela, on pourrait sans les changer amender les traités, établir un « protocole de la zone euro », Andrew Duff propose un protocole de Francfort …
Techniquement, comment fonctionnerait ce budget de la zone euro ?
Pour la stabilisation macro-économique, on pourrait utiliser le Mécanisme européen de stabilité* en l’intégrant directement au budget de la zone euro. Cela supposerait que les États participants abandonnent les quelques milliards de garanties qu’ils ont déposées. Pour les investissements, le financement viendrait de l’emprunt. Enfin pour la convergence, on utilisera sans doute les fonds structurels existant, même s’il faut bien faire attention à ce que ces fonds ne soient pas l’apanage de la zone euro.
L’intérêt, c’est que ce nouveau mécanisme propose une monnaie d’échange : nous ne proposons pas de mettre en place des garanties d’emprunt gratuites et infinies, mais de les mettre en place en échange de nouveaux critères de convergence qui seront en eux-mêmes de nouvelles garanties.
Quel serait le montant optimal du budget de la zone euro ?
Actuellement, le budget de l’UE représente 0,8 % du produit national brut des États membres. Il faudrait porter ce montant de 1,25 % à 3 % pour la zone euro. Selon le FMI, avec des fonds de seulement 1,5 %à 2,5 % des PNB, on amortit 80 % des chocs régionaux : c’est un outil très efficace ! Surtout si on l’utiliser avec des mécanismes automatiques comme l’indemnisation du chômage. En plus les citoyens auraient l’impression que l’Europe s’occupe de solidarité.
>>Lire : Comment créer un mini-budget européen avec une assurance chômage européenne
Y a-t-il un consensus autour de cette idée de budget européen ?
Beaucoup de questions restent ouvertes. Par exemple sur la gouvernance du tout. Faut-il mettre en place un trésor européen ? Ou inventer un directoire proche de celui de la Banque centrale européenne, avec les ministres des Finances de la zone euro ?
Quelles sont les prochaines étapes à attendre sur le sujet ?
Il y a eu une contribution franco-italienne très solide sur le sujet de la zone euro : les deux pays soutiennent l’idée d’un vrai budget dédié. On attend la position commune entre la France et l’Allemagne, promise d’ici la fin de l’année. Enfin les sociaux-démocrates européens ont confié à Pierre Moscovici, Martin Schulz et Matteo Renzi la charge d’établir une feuille de route commune avant l’été.

Le lien vers l’article

*Le Mécanisme européen de stabilité est une organisation intergouvernementale basée à Luxembourg, qui dispose d’une capacité de financement de 700 milliards destiné à accorder des prêts et à racheter des dettes au sein de la zone euro. Les 19 états participant ont déposé une garantie de 80 milliards d’euros.