Mardi 11 avril 2017
Interview parue dans Toute l’Europe
Propos recueillis par Alexandra Lesur
Députée européenne depuis 1994, Pervenche Berès est membre du groupe des socialistes et démocrates. A l’approche de l’élection présidentielle, elle publie un ouvrage intitulé « Son vrai visage. Témoignage sur le FN au Parlement européen », publié par la Fondation Jean-Jaurès. L’eurodéputée s’est penchée à mi-mandat sur le travail du Front national au sein du Parlement européen. Elle y dénonce la supercherie menée par les députés frontistes une fois dans l’hémicycle.
Toute l’Europe : Quelle était votre démarche à travers la publication de cet ouvrage?
Pervenche Berès : Ce livre est la réponse immédiate aux résultats des élections européennes de 2014. Même s’il avait été un peu anticipé pendant la campagne, le résultat de ces élections a été un choc. Nous ne nous attendions pas à ce qu’un tiers de la représentation française soit élue sur les listes du Front national. Il y a quelques années, une telle configuration aurait été inimaginable. J’ai immédiatement eu la conviction que la classe politique exerçant à Paris ne se rendait pas compte de ce qui allait se passer au Parlement européen.
Après cette élection, Jean-Christophe Cambadélis a théorisé ce qu’il a appelé le « tripartisme » composée des progressistes, de la droite classique et du FN. Cette tripartition change la donne dans l’élection présidentielle à deux tours et dans toutes les élections. L’année suivante, cette intuition a été totalement vérifiée par les résultats des élections régionales. Une théorie qui conforte également la pensée de l’ancien président du Parlement européen, Martin Schulz, selon laquelle l’élection au Parlement européen peut être le révélateur au sens photographique du terme de ce qui va advenir. C’est une élection plus détachée, à la proportionnelle et elle révèle très bien les tendances qui sont dans la société. A ce moment-là, je savais déjà qu’avec autant de députés élus, la façon dont le FN allait se servir du Parlement européen allait changer et qu’il fallait savoir l’observer pour en témoigner. Une partie de ma mission a aussi été de dire et d’armer mes amis de ce que je voyais au sein du Parlement.
Nous sommes à mi-mandat, quel bilan faites-vous de l’action des députés frontistes au Parlement européen ?
Premièrement, ce qui me frappe le plus c’est qu’en étant plus nombreux, ils ont vraiment mis en place une stratégie d’exploitation de tous les moyens mis à leur disposition par le Parlement européen.
Deuxièmement, ils ont entendu la critique qu’on leur faisait dans les précédents mandats qui était d’être présent sans réellement l’exercer. Donc aujourd’hui ils ont un objectif très clair : celui d’être qualifié au regard des critères qui sont utilisés par solution de facilité pour évaluer le travail des parlementaires, qui est de faire du chiffre et pas de la qualité.
Troisièmement, quand on regarde le fond de leurs activités, elles illustrent très clairement leurs incohérences et l’impasse dans laquelle ils sont puisqu’ils dénoncent des problèmes qu’ils ne veulent pas résoudre avec les moyens qui sont au niveau européen. Enfin dans leur façon de faire de la statistique là aussi ils révèlent une contradiction très forte en utilisant les fameuses questions écrites ou les propositions de résolutions adressées à la Commission européenne alors que normalement le FN est dans une stratégie où il refuse ou ne veut même pas que la Commission européenne existe.
J’ai apporté ma contribution avec cet ouvrage, mais je mesure la difficulté du combat à mener à une époque où en un tweet on peut dire qu’il faut tuer la PAC et où on a l’impression que c’est une solution très facile. Derrière il faut un peu plus de mots, de temps et beaucoup de détermination aussi pour expliquer la réalité. Nous avons une responsabilité pour mettre en place des politiques qui permettent de répondre aux inquiétudes des citoyens et qui s’inscrivent dans le cadre d’une société ouverte. Je crois que l’un des grands défis de cette élection est de savoir si on veut être dans une société ouverte ou fermée.
Marine Le Pen ambitionne, en cas de victoire à l’élection présidentielle, de sortir la France de l’UE par la tenue d’un référendum. Comment expliquez-vous sa volonté d’exploser l’Union et en même temps de faire partie du Parlement européen, le cœur de la démocratie européenne ?
C’est son premier grand mensonge ! La candidate à l’élection présidentielle se fait élire pour détruire de l’intérieur. C’est une stratégie ouverte soutenue par les puissances étrangères. Mme Le Pen n’est pas là pour réparer l’Union européenne, elle est là pour la détruire. Avec ses troupes, elle le démontre dossier après dossier sans considérer que c’est du vol. Pour nous, cela signifie qu’il s’agit d’un double adversaire qu’il faut combattre parce que nous sommes politiquement contre mais aussi parce que c’est un adversaire qui ne s’attache pas qu’au droit secondaire, mais aussi à la destruction du droit primaire.
Dans votre livre, vous mentionnez que le FN fait seulement « acte de présence » au Parlement et s’en sert surtout comme caisse de résonance en déposant des milliers de questions écrites. Or, cela revient cher au Parlement européen (plus de 1,5 million d’euros depuis 2014 en frais de traitement). Comment le Parlement européen peut-il contingenter la possibilité pour les membres de faire usage de ces outils parlementaires ?
C’est très difficile parce que tout le monde se rappelle de ces règles plus strictes mises en place pour encadrer le FN et qui peuvent se retourner contre de vrais démocrates. Et notamment lorsqu’à la suite de ces débordements des activités visant à « augmenter les statistiques », nous avons voulu changer les règles pour rendre plus difficile un certain nombre d’initiatives.
Les petits groupes comme les Verts ou la GUE [gauche radicale, NDLR] ont eu du mal à soutenir ces propositions, à juste titre. L’autre difficulté c’est que cela pollue beaucoup l’image du Parlement européen. Ils aboutissent finalement à leurs objectifs. Jean-Claude Juncker se plaint régulièrement de la surcharge de travail de la Commission européenne. Il est en effet dans l’obligation de répondre à ces questions. C’est une méthode bien connue et utilisée par les antidémocrates pour polluer la vie des parlements. Tout cela est lié aussi à un problème d’évaluation des députés. C’est parce que le classement des députés européens se fait sur la base de critères d’activités disproportionnés qu’ils peuvent utiliser ce biais. Si ça ne rapportait pas autant dans le classement de rédiger une question écrite ou une résolution orale, ils n’en feraient pas autant.
Marine Le Pen, comme d’autres candidats à l’élection présidentielle, dénonce le texte sur les travailleurs détachés. La réforme qui est en cours vous paraît-elle satisfaisante ?
Pour l’instant, nous ne savons pas sur quoi cette réforme va déboucher. J’avais négocié la précédente directive d’interprétation de la directive dans le précédent mandat. Je voyais bien qu’il y avait des failles qu’on n’arrivait pas à combler avec la directive d’interprétation alors je pense que c’est un objectif très ambitieux de réviser la directive elle-même. Je pense que ce qui est sur la table pour la réviser est une très bonne approche.
Mais l’idée que défend Madame Le Pen de supprimer la directive relative au détachement des travailleurs revient non seulement à mentir aux Français, mais aussi à trahir l’intérêt des Français. C’est oublier qu’il y a 300 000 Français qui sont détachés de France pour aller travailler ailleurs et qui sont bien contents de ne pas abandonner leur régime de sécurité social notamment à leur retour. Si elle veut que les travailleurs polonais paient leurs droits en France, la sécurité sociale en France, il faut que les droits qui seront payés en France soient totalement transférables en Pologne quand le travailleur qui est détaché et qui a donc vocation à retourner en Pologne le fera.
Mme Le Pen ne veut pas trouver de solutions. Par exemple, lorsque dans le rapport de Guillaume Balas sur le dumping social, on propose de mettre en place une meilleure coordination des systèmes d’inspection du travail ou même de mettre en place une brigade européenne pour aller surveiller des grands chantiers avec des cultures mixtes qui permettent de mieux appréhender la situation des détachements des travailleurs, elle n’en veut pas puisque c’est une solution européenne.
Le Front national plaide au Parlement européen pour que la PAC soit remplacée par une politique agricole française. Dans ce cas, faudrait-il sortir de l’Union européenne ?
Il faudrait en tout cas sortir de la PAC, mais cela va avec tout ce que propose Mme Le Pen. Elle voit un problème dans l’agriculture, elle propose de supprimer la PAC. Elle voit un problème de terrorisme, elle propose de supprimer Schengen. Elle voit un problème de chômage, elle propose de supprimer l’euro. C’est d’un simplisme dont les Britanniques sont en train de vérifier qu’il n’est pas applicable.
Jean-Luc Mélenchon propose sous forme d’un plan B également une sortie éventuelle de la France de l’UE. Quel regard portez-vous sur cette « solution » ?
Cela renvoie à une nostalgie qui n’est pas de mise et à un monde qui n’est pas le monde dans lequel nous vivons. La France est un grand pays mais la France seule n’aurait par exemple pas réussi la COP21. Quand on a envie de se projeter dans un avenir désirable comme le propose Benoit Hamon et qui oblige de s’occuper de la planète et des hommes et des femmes qui y habitent, cela n’a pas d’avenir dans les frontières fermées de la France.
Dans cet ouvrage, vous démontrez le décalage entre les positions du FN prises au niveau national et ses actions menées au Parlement européen. Comment démontrer la « supercherie » des partis eurosceptiques afin de contenir leur progression au sein de l’UE ?
Le meilleur moyen de contenir les nationalistes et les populistes c’est de réussir les politiques que l’on met en œuvre. Et pour cela peut-être de corriger le tir par rapport à des politiques trop austéritaires qui ont désespéré des populations entières, que ce soit dans le milieu rural, ouvrier ou salarié. Le combat contre le Front national est un combat très difficile parce qu’il y a une contradiction. Mme Le Pen serait une candidate anti-système qui romprait avec ce qu’elle appelle un « UMP-PS » indifférencié, alors que cela ne correspond pas à la réalité de la campagne que nous vivons aujourd’hui. Mais cela ne l’empêche pas de le stigmatiser.
Il y a une contradiction dans l’électorat du Front national sur lequel les démocrates butent puisque Mme Le Pen dénonce la tricherie et l’usurpation du pouvoir. Or elle en est l’exemple absolu dans la façon dont elle exerce son mandat de députée européenne et les conditions dans lesquelles elle contrevient aux règles de la démocratie en allant se financer par les Russes ou en utilisant des collaborateurs dédiés au travail européen pour des fonctions à l’intérieur du Parti. Ce n’est pas le fait qu’ils soient militants qui pose problème mais c’est l’exercice de fonctions rémunérées par un emploi fictif qui en est un.