Vendredi 14 avril 2017
Interview parue dans l’Opinion
Propos recueillis par Isabelle Marchais
Selon la députée européenne « Socialistes et démocrates », il est nécessaire de dénoncer « les incohérences, les contradictions et les mensonges que le FN propage à Strasbourg »
La Fondation Jean-Jaurès vient de publier un essai de Pervenche Berès sur l’activité réelle du Front national au Parlement européen. L’eurodéputée, qui a bénéficié du soutien de l’ensemble de la délégation socialiste française, y analyse l’influence des députés frontistes au sein d’une institution « dont ils contestent la légitimité » et dans laquelle ils ont fait une entrée en force lors des élections de 2014, avec vingt-quatre élus (vingt aujourd’hui au sein du groupe ENL). Dans un entretien à l’Opinion, elle met en garde contre les risques d’un Frexit pour l’euro et pour l’Union européenne.
Vous venez de publier un livre sur le « vrai visage » du Front national au Parlement européen. Etait-ce important de le faire avant la présidentielle ?
Ma détermination est née au lendemain des élections européennes du printemps 2014, qui ont vu le tiers de la représentation française passer dans les mains du Front national, avec 24 députés sur 74, ce qui a fait naître une sorte de tripartisme. Je me suis alors dit que les élus frontistes allaient se servir du Parlement européen comme d’une base arrière pour leurs prochaines conquêtes électorales, et notamment pour la présidentielle. Pendant très longtemps, les socialistes ont estimé qu’il ne fallait pas parler du Front national. Mais la délégation socialiste française a jugé important de faire ce travail de décorticage pour dénoncer les incohérences, les contradictions et les mensonges que le FN propage à Strasbourg.
Marine Le Pen peut-elle selon vous gagner l’élection présidentielle?
Je vois en tout cas une très grande inquiétude chez mes collègues. Sur le front économique, les choses vont mieux. Mais il faut intégrer le risque politique. Si le Front national l’emporte, ce sera une déflagration beaucoup plus importante que le Brexit. En voulant sortir de l’Union européenne, les Britanniques envoient un mauvais signal et font naître la peur d’une contagion. Mais si la France sort de l’euro, je ne crois pas que la monnaie unique y survivra. Et je ne crois pas que l’Union européenne survivra à la disparition de l’euro. Les risques de dévaluation seraient tels que vous seriez obligés d’avoir des politiques très protectionnistes. Les électeurs doivent comprendre qu’au XXIe siècle, aucune nation, quelle que soit sa grandeur passée, présente ou future, ne peut s’en sortir seule.
Le FN dit vouloir détruire l’Europe de l’intérieur. Comment s’y prend-il ?
Les élus du Front national ont d’abord voulu répondre à l’argument selon lequel ils ne faisaient rien. Ils ont donc mis en place une stratégie déterminée du chiffre pour améliorer leur rang dans les classements, en multipliant les questions écrites et les propositions de résolution, et en déposant en commission de nombreux amendements. Ces activités révèlent une double contradiction. Le Front national reproche à l’Union européenne de s’occuper de trop de choses, mais il accuse régulièrement la Commission de ne pas faire ceci ou cela. Ensuite, une fois qu’il a dénoncé un problème, il refuse que l’Europe apporte des solutions ; il a par exemple voté contre la mise en place de structures de coordination des inspections du travail afin de lutter contre le dumping social.
Marine Le Pen a réussi à constituer un groupe politique, « Europe des Nations et des Libertés » (ENL). Quels bénéfices en a-t-elle tiré?
Cela lui a permis de démultiplier ses moyens d’intervention. Elle participe à la conférence des présidents de groupe, elle bénéficie d’un temps de parole beaucoup plus important dans les débats en plénière, elle dispose de moyens financiers et humains accrus. Pour un parti qui a peu d’élus à l’Assemblée nationale ou au Sénat, cela lui donne des moyens incroyables.
Vous écrivez que les services du Parlement européen avaient depuis longtemps des soupçons sur les pratiques du FN, ce qui a donné lieu à l’ouverture d’une enquête de l’Office européen de lutte antifraude et du Parquet de Paris sur des emplois présumés fictifs…
Quand on utilise de l’argent européen pour financer sa campagne électorale, c’est contraire à la loi, nationale et européenne. Au cours des précédentes mandatures, on entendait déjà que le FN se servait de l’argent européen pour atteindre ses objectifs au plan national. C’est devenu encore plus criant depuis les élections de 2014. Il y a une très grande porosité entre les élus et les assistants du FN au Parlement européen et l’organigramme du parti, que ce soit du point de vue de la direction nationale ou de la campagne de Marine Le Pen. La question est de savoir quelle est la proportion entre le militant, le responsable politique et l’assistant d’un député au Parlement européen, car on risque alors de passer dans l’emploi fictif.
Les grands groupes politiques ont décidé au lendemain des élections de 2014 d’ériger un cordon sanitaire face à l’arrivée massive d’élus europhobes. De quelle manière ?
Ce bloc d’environ 160 députés hostiles au projet européen a obligé les progressistes et les conservateurs à réajuster leur stratégie. On ne travaille pas avec ces élus, on ne négocie pas avec eux, on ne vote pas leurs amendements. Comment pourrait-on le faire quand on voit l’impasse dans laquelle ils veulent mener l’Europe, quand on voit qu’ils ne veulent ni de Schengen, ni de l’euro, ni de la PAC ! Le FN triche en mentant sur les solutions qu’il faut apporter.