Jeudi 26 octobre 2017
Interview de Pervenche Berès parue dans Revue Banque N°813
L’Europe est en ce moment face à des choix qui vont la structurer pour l’avenir. Le traité budgétaire, entré en vigueur le 1er janvier 2013, doit être revu. La création d’un véritable final backstop, l’une des pièces manquantes à l’Union bancaire, est certaine.
En quoi l’Europe est-elle aujourd’hui à la croisée des chemins ?
Pendant la crise, des mesures d’urgence ont été prises mais elles n’étaient pas forcément optimales. Ainsi, le traité budgétaire [1], qui verrouille un peu plus les obligations des États membres, est intergouvernemental ; il mobilise à son service la Commission et la Cour de justice mais pas le Parlement. Donc, en termes démocratiques, cette situation n’est pas tenable dans le temps. Il était d’ailleurs prévu dans l’article 16 du traité budgétaire que, 5 ans après sa signature, ce texte serait intégré dans le cadre communautaire. Cette intégration obligera à une révision et nous sommes aujourd’hui à ce point de rendez-vous.
Selon cette même logique, le Parlement européen estime et défend l’idée que le Mécanisme européen de stabilité (MES), lui aussi mis en place pendant la crise, doit rejoindre le cadre communautaire. Le « Rapport des cinq présidents » nous apporte un certain appui, dans la mesure où il souligne la nécessité de se préoccuper du futur du MES mais le rapport ne va pas jusqu’à préconiser son intégration au cadre communautaire.
Le 6 décembre 2017, Jean-Claude Junker, le président de la Commission, va mettre sur la table des propositions qu’il a d’ores et déjà énoncées :
- transformation du MES en FME ;
- création d’un budget de la zone euro qui aura quatre fonctions : assister les réformes structurelles ; fonction de stabilisation des économies ; final backstop (filet de sécurité) [2] de l’Union bancaire ; fonds d’aide à la pré-adhésion à l’euro ;
- transformation du champ d’action du Commissaire européen en charge de l’économie et des finances qui deviendrait également vice-président de la Commission européenne et président de l’Eurogroupe. Ce nouvel homme ou cette femme fort(e) jouerait le rôle de ministre européen de l’Économie et des Finances.
À l’ensemble de ces chantiers, va également venir s’ajouter une initiative pour créer un « synthetic » des souverains : il s’agira d’un panier de dettes souveraines réparties selon la clé de la Banque centrale. Ce panier préfigurera le « safe asset » (où il y aura un certain degré de mutualisation) proposé par la Commission.
Quelles sont les dates butoir pour tous ces débats ?
Nous avons 6 mois pour débattre de l’ensemble des questions. Un sommet spécial de la zone euro va se tenir en décembre. Les éléments qui ne seront pas dans la discussion avant mars prochain ne seront pas traités pendant le mandat actuel de la Commission et du Parlement.
Un budget de la zone euro peut recouvrir de nombreuses formes. Quelle idée vous en faites-vous ?
Je souhaite un budget de la zone euro pour ses effets contracycliques et pour qu’il remplisse les trois fonctions que j’ai identifiées dans le rapport écrit avec M. Böge, sur la capacité budgétaire de la zone euro : aider à la convergence entre les États membres, faire face à un choc asymétrique, et à un choc symétrique.
Aussi, dans le débat qui est ouvert aujourd’hui, ce qui m’inquiète, c’est l’émergence d’un budget européen sans fonction contracyclique et qui aurait pour fonction première, comme M. Junker l’a dit, l’assistance aux réformes structurelles qui visent à améliorer la compétitivité d’un pays. Je ne suis pas opposée par principe aux réformes structurelles, mais de quelles réformes structurelles M. Junker parle-t-il ? Des réformes punitives ? Incitatives ?
La transformation du MES en FME peut, elle aussi, recouvrir différentes motivations…
Il s’agit là d’un second point d’attention. En effet, le souhait des conservateurs allemands de transformer le MES en FME correspond à une volonté de retirer à la Commission le soin de surveiller les budgets des États membres et de confier cette tâche au FME (organisme indépendant) qui agira de façon plus technique, plus systématique et avec moins de souplesse.
Partagez-vous l’approche de Junker qui insiste sur le fait que l’euro a pour vocation de devenir la monnaie unique de toute l’Union européenne (UE) ou préférez-vous la vision d’Emmanuel Macron, qui appelle de ses vœux une zone euro plus intégrée, un « cœur d’Europe qui en soit l’avant-garde [3] » ?
Le discours de Jean-Claude Junker sur l’État de l’Union donne quasiment l’impression qu’il faut attendre que tous les États membres de l’UE adoptent l’euro pour faire la réforme. Je ne partage pas cette approche et elle choque bien des membres de la CDU [4]. Aider à la pré-adhésion avec un budget de la zone euro, c’est très bien – même si les fonds structurels sont déjà là pour ça – s’il y a en échange un engagement clair d’adopter l’euro ; mais il ne faut pas attendre que l’euro soit à 27 pour réformer la zone. La vision de Macron est plus pertinente. La zone euro a toujours été un projet d’avant-garde mené par quelques États membres et Macron estime qu’il faut maintenir cette dynamique comme moyen de maintenir l’attractivité de l’euro ; je partage cette vision.
En revanche, pour la CDU, le prérequis pour aller plus loin, c’est l’application des règles existantes : les budgets des États membres doivent respecter les traités, d’où leur enthousiasme pour le FME.
Comment interprétez-vous le fait qu’Emmanuel Macron, dans son discours prononcé à la Sorbonne, ait noyé ses projets pour la zone euro dans un discours fleuve englobant de très nombreux sujets ?
Emmanuel Macron a bien compris que pour obtenir quelque chose de l’Allemagne, il doit lancer une discussion très vaste impliquant des sujets très différents comme celui des migrants ou de la défense. C’est pourquoi son discours à la Sorbonne était très large. L’objectif est d’organiser une négociation globale avec Angela Merkel sur l’Union européenne après le Brexit.
Le Brexit risque-t-il de parasiter ces débats ?
Le risque me semble aujourd’hui contenu. J’étais plus inquiète il y a un an mais j’observe que, jusqu’à présent, le Royaume-Uni n’est pas parvenu à semer la discorde entre les États membres et le Brexit n’a pas eu d’effet de contagion. La stratégie de Junker d’externaliser entre les mains de Michel Barnier la négociation sur le Brexit fonctionne bien. Un vrai débat sur l’Europe est lancé en parallèle, sans trop d’interférences avec le Brexit.
L’achèvement de l’Union bancaire pourrait-il se substituer à l’achèvement de l’Union économique et monétaire (UEM) ?
Dans le rapport Böge-Berès, nous affirmons que, parallèlement à l’achèvement de l’UEM, l’achèvement de l’Union bancaire est absolument critique. Certains économistes estiment que, si l’on complète totalement l’Union bancaire et l’Union des marchés de capitaux (UMC), il y aura une reprise de l’investissement privé qui évitera de se poser la question d’un budget de la zone euro. Je ne partage pas cette vision ultra-libérale. La prise de risque par les investissements privés n’est pas la même que la prise de risque par le public qui, lui, peut mener des politiques contracycliques.
De fait, le sujet de l’achèvement de l’UEM et celui de l’achèvement de l’Union bancaire sont en train de se rejoindre très directement, puisque la transformation du MES en FME se prépare : c’est le moment d’acter qu’une partie de la capacité du FME servira au financement du final backstop du pilier 2 (pilier « Résolution ») de l’Union bancaire. C’est ce que propose la Commission dans sa nouvelle communication sur l’Union bancaire.
L’existence du Fonds de résolution unique (FRU) depuis le 1er janvier 2016 ne rend-elle pas la question du backstop moins urgente ?
Le FRU peut et doit être considéré comme un dispositif de secours en cas de défaillance avérée ou probable d’un établissement bancaire. Mais ce qui a été acté, à raison, lors des discussions sur le deuxième pilier de l’Union bancaire, c’est que le FRU serait lui-même doté d’un filet de sécurité au cas où il ne serait pas assez abondé pour faire face aux difficultés d’une banque : le « final backstop », alimenté par de l’argent public. L’engagement a été pris en 2013 et réaffirmé deux ans plus tard par les ministres des finances européens, ce n’est plus une question. Dans cette perspective, l’utilisation d’une partie des ressources du MES pour remplir le rôle de filet de sécurité de dernier recours au FRU devrait n’être guère plus qu’une question technique !
Par ailleurs, j’observe que la zone euro ne se sert pas du FRU. Même dans le cas de Banco Popular, ou des banques italiennes (Veneto Banca et Banca Popolare di Vicenza), il n’a pas été sollicité. Et l’option paraît à peine avoir été envisagée.
Comment expliquez-vous que le FRU ne soit pas sollicité ?
Madame König, qui préside le Conseil de résolution unique (CRU), semble peu disposée à s’en servir. Cela montre toute la difficulté de mettre en œuvre un outil dont certains États membres ne veulent pas.
Mais alors à quoi sert le FRU ?
Il a servi d’abord à rassurer les marchés. Sa création illustre aussi l’intérêt de l’Union bancaire, puisqu’en faisant contribuer le secteur bancaire au sauvetage de l’un de ses membres, le FRU supprime les liens toxiques qui peuvent exister entre les difficultés d’une banque et celles d’un État membre.
L’article en PDF : Bientôt un backstop pour l’Union bancaire
http://www.revue-banque.fr/risques-reglementations/article/bientot-un-backstop-pour-union-bancaire
[1] Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), plus connu sous le nom de pacte budgétaire européen a été signé le 2 mars 2012 à Bruxelles et est entré en vigueur le 1er janvier 2013.
[2] Fonds pouvant être utilisés pour intervenir directement au capital des banques en difficulté.
[3] Discours du 8 septembre 2017 à Athènes.
[4] L’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne est le parti auquel appartient Angela Merkel.