Lundi 25 septembre 2017
Résumé du débat organisé par la Représentation de l’Organisation internationale de la Francophonie PubAffairs sur le Brexit
Le lundi 25 septembre, je participais aux côtés de Cinzia Alcidi, Chef de l’unité de politique économique au Centre d’études politiques européennes – CEPS, et de Mathieu Maes, Secrétaire général de la Chambre de Commerce Internationale – Belgique, au débat organisé par la Représentation de l’Organisation internationale de la Francophonie auprès de l’UE et PubAffairs Bruxelles, sur les conséquences économiques pour l’UE après le départ du Royaume-Uni.
L’événement était modéré par Gabriel Grésillon, correspondant à Bruxelles pour Les Échos.
Ci-dessous, le résumé des débats
Avant que les intervenants ne soient invités à prendre la parole, M. Stéphane Lopez, Ambassadeur, Représentant de la Représentation de l’Organisation internationale de la Francophonie auprès de l’Ue, a tenu un discours introductif, présentant tout d’abord les activités et les fonctions de l’OIF depuis sa création en 1970 en tant qu’institution multilatérale, et se penchant ensuite sur la question des relations entre l’Ue et le Royaume-Uni. Selon lui, même s’il s’inscrit dans un contexte européen qui n’est pas sans nuage – mais après tout, comme le disait Jean Monnet, « l’Europe se fera dans les crises », le Brexit a été une surprise pour tous et un traumatisme. Pour la première fois dans son histoire, l’Europe est passée d’une trajectoire d’élargissement à celle d’un rétrécissement faisant naître la peur d’une contagion. Cette dynamique témoigne, selon l’orateur, du décalage croissant entre la vision que les élites se font de l’Ue et celle des peuples européens, dans un contexte de mondialisation qui a produit, certes, des effets d’échange et de croissance positifs, mais qui a généré également une marginalisation et une inégalité accrues. Une réflexion approfondie sur cette problématique est nécessaire au regard du résultat du referendum britannique sur l’Ue. Concluant son intervention, M. Lopez a rappelé la fructueuse collaboration existante entre l’OIF et le «Commonwealth», soulignant que le Brexit n’était pas une bonne nouvelle pour la francophonie.
En guise d’introduction, le modérateur, Gabriel Grésillon, a signalé que la question posée dans ce débat a deux aspects: le premier concerne le futur des relations économiques entre l’Ue et le Royaume-Uni, tandis que le deuxième touche au futur de l’intégration économique et politique européenne. Abordant le premier point, le modérateur a demandé aux orateurs s’il était possible d’estimer les conséquences économiques du départ du Royaume-Uni pour les deux parties.
Mme Alcidi a rappelé aux auditeurs que, dans le discours qu’elle a prononcé à Florence, Theresa May a annoncé que le Royaume-Uni envisageait un période de transition assez longue, très probablement afin de répondre aux préoccupations montantes du secteur économique britannique, et qu’il contribuera au budget de l’Union et respectera les règles et les principes de l’Ue jusqu’en 2020. Si cette position était retenue, elle impliquerait que le Royaume Uni reste dans le système communautaire jusqu’au 2020 sans participer au processus décisionnelle européen, a fait remarquer Mme Alcidi. Elle a ensuite donné quelques chiffres: l’Ue des 27 exporte vers le Royaume-Uni des marchandises à hauteur de 300 milliards d’euros et des services à hauteur de 100 milliards d’euros, tandis que le Royaume-Uni exporte des marchandises vers l’Ue à hauteur de 180 milliards d’euros et des services à hauteur de 180 milliards d’euros, exportations qui représentent 7,5 % du PIB britannique. Si, dès le Brexit annoncé, l’enjeu a été d’évaluer l’impact de la décision sur les liens commerciaux avec l’UE, selon Mme Alcidi, réaliser un chiffrage précis est presque impossible en l’état actuel. Beaucoup de scénarios sont possibles, les incertitudes sont grandes et les modèles économiques peu fiables. Cependant, il est possible d’affirmer que des pertes sont à prévoir des deux côtés. Toutefois, les dégâts économiques et financiers seront plus élevés pour le Royaume-Uni que pour l’Ue, et ce, dans un rapport de 1 à 2 ou de 1 à 3. En d’autres termes, le Brexit sera 2 à 3 fois plus négatif pour le Royaume Uni que pour l’UE des 27, même si, a précisé Mme Alcidi, certains secteurs ainsi que certains États membres qui ont des liens économiques étroits avec la Grande Bretagne, notamment l’Irlande, Malte, Chypre, la Belgique et les Pays-Bas, seront plus exposés.
Interrogé à son tour, M. Maes a déclaré qu’il est très difficile d’y répondre de manière exhaustive et précise car il faudrait analyser non seulement les impacts par secteur, mais aussi par taille d’entreprise. En outre, l’orateur a ajouté que construire une vision objective sur la question des conséquences économiques du Brexit exige de dépasser la position «eux contre nous», et de prendre en compte les inquiétudes des entreprises au sein et en dehors de l’Ue, inquiétudes qui sont multiples et légitimes. Au-delà du futur des négociations diplomatiques, une question importante est la probable création de nouvelles frontières économiques entre l’Union et le Royaume-Uni dans environ deux ans. Sur ce point, l’orateur a souligné qu’un manque de savoir-faire, surtout de la part des PME, par rapport à la problématique des formalités douanières pourrait avoir des retombées négatives et compliquer l’exécution de contrats, et la participation à des appels d’offres publics. Dans le contexte du Brexit, non seulement les PME sont plus vulnérables que les grandes entreprises au niveau du risque de nouvelles contraintes en matière de barrières commerciales, ou touchant la circulation des travailleurs, la «compliance», etc. mais l’accès au crédit constitue également pour elle une source de questionnement : est-ce que les banques britanniques stopperont les prêts pour les clients se trouvant dans l’Union des 27? Il ne faut pas non plus perdre de vue qu’une baisse de la demande des consommateurs anglais, pourrait pénaliser l’ensemble des PME en Europe. Peut-être pas dans des proportions dramatiques, mais si l’accès au marché britannique se complexifie, ou si le Royaume-Uni établit des accords commerciaux plus avantageux avec d’autres pays tels que les États-Unis, les entreprises européennes seront susceptibles de perdre des parts de marché. Et sans accord commercial avec l’Ue après le Brexit, les échanges seront régis alors par les règles de l’OMC, soit une augmentation des coûts commerciaux, particulièrement dangereux pour les PME. Par le Brexit, les clients britanniques des PME européennes, tout comme leurs fournisseurs d’outre-manche, risquent de réduire leurs transactions pour des raisons de coût et d’obstacles commerciaux. Ce qui signifierait à terme moins de débouchés pour les PME européennes, mais aussi une hausse des coûts d’approvisionnement auprès de leurs fournisseurs britanniques, qu’elles devraient répercuter sur leur prix de vente, à moins de se tourner vers d’autres fournisseurs moins chers. En outre, selon lui, la possible divergence future de normes juridiques entre le Royaume- Uni et l’Ue risquera aussi de créer un climat d’incertitudes qui pourrait avoir un effet négatif sur les investissements. Déjà, les investisseurs s’inquiètent du fait que le Brexit implique un exercice complexe de révisions de tous les contrats existants (re-documenting). Et toute complexité est une entrave pour les acteurs de la chaîne de valeur mondiale. De nombreuses politiques positives sont remises en question, par exemple l’élimination des frais de roaming ou la libre circulation des travailleurs et le traitement de leur conjoint et cela risquera d’avoir un impact négatif tant sur l’attractivité de la place Royaume-Uni que sur les progrès pour un climat mondial favorable au libre-échange et aux investissements étrangers.
Selon Mme Berès, les relations entre l’Ue et le Royaume-Uni sont entrées dans une trilogie : le premier acte consiste à établir les conditions de sortie, le deuxième à négocier un accord pour le futur des relations entre l’Union et le Royaume-Uni, et le troisième à mettre en œuvre une «phase de transition» selon les propres mots de Theresa May dans son discours de Florence. L’oratrice a souligné que, pour entrer dans cette phase de négociation sur le futur, il faut clôturer le premier acte de la trilogie, comme Michel Barnier l’a plusieurs fois déclaré. À propos du coût de la «non-Europe», Mme Berès a affirmé qu’il allait falloir attendre pour répondre à la question mais que les marchés eux ont déjà donné des indications: l’agence de notation financière Moody’s a abaissé la note de la dette à long terme du Royaume-Uni. Quant aux inquiétudes relatives au risque de contagion du Brexit, elles n’ont été confirmées dans les faits dans aucun des États membres. Revenant sur la possible forme que prendra le Brexit, Mme Berès a affirmé qu’il est impossible de faire des prévisions pour l’instant, et ce, principalement à cause de l’incertitude sur la politique suivie par le gouvernement britannique. Faisant à nouveau référence au discours de Theresa May, la députée européenne a souligné que la Première ministre avait déclaré qu’il fallait être innovant et qu’elle continuait à dire vouloir échapper au dilemme fondamental qui consiste à choisir entre le modèle suisse et le canadien. Abordant la question de la Cour de Justice européenne, la députée a remarqué que Theresa May avait aussi déclaré vouloir mettre en place un accord spécial selon lequel la Cour britannique pourrait demander l’avis de la Cour de justice européenne, procédure qui intégrerait de facto la jurisprudence européenne dans le droit britannique. Selon Mme Berès, éviter que le Royaume-Uni ne subisse une situation de crise est aussi une des finalités collectives de l’Ue. Tout aussi impératif pour l’Ue est de maintenir les quatre libertés fondamentales intactes, car elles sont à la base du projet européen, ainsi que le rôle de la Cour de justice de l’Union. Revenant aux questions économiques et plus précisément à l’impact du Brexit sur le secteur financier, l’oratrice a souligné qu’il fallait distinguer les entreprises qui sont purement britanniques des entreprises qui sont localisées au Royaume-Uni. La question la plus pressante pour les investisseurs, a affirmé l’eurodéputée, est de savoir concrètement quel type de régime réserve le futur pour les échanges en termes de marché financier. Mme Berès a aussi expliqué que le régime qui existe actuellement pour les entreprises des pays tiers ne pourra pas fonctionner de la même manière pour le Royaume-Uni notamment du fait de la proportionnalité. En d’autres termes, lorsqu’une entreprise non–européenne décide d’être présente en Europe, elle doit répondre à un régime d’équivalence. Cependant, le principe d’équivalence ne peut pas être appliqué au Royaume-Uni car la proportionnalité est différente. Le résultat de cette situation, est selon l’eurodéputée, que l’industrie craint que le Brexit puisse se traduire en pertes de valeur et/ou augmentation des coûts au dépends de leur compétitivité.
Les orateurs se sont ensuite penchés sur la question des retombées du Brexit sur le futur de la gouvernance économique et sur la question de la réforme des institutions européennes.
Mme Alcidi a déclaré partager l’analyse de Mme Berès sur l’effet contagion, qui ne s’est pas produit, et a fait remarquer que, lors des débats dans le cadre des élections nationales qui ont eu lieu dans différents États membres de l’Ue, le thème du futur de l’Europe était soit au centre des campagnes, comme en France, soit totalement marginalisé, comme aux Pays Bas. Plusieurs observateurs et commentateurs ont évoqué une possible relance du processus d’intégration de l’Ue étant donné l’opposition que manifestait le Royaume-Uni envers des reformes qui auraient pu aboutir à une intégration politique et économique encore plus étroite. En outre, selon l’oratrice, même si on ne connait pas encore la composition de la coalition qui gouvernera l’Allemagne, une certaine excitation s’est fait sentir dans plusieurs milieux qui souhaitent des changements importants dans l’architecture de la zone euro, ainsi que dans le fonctionnement des institutions européennes. Toutefois, Mme Alcidi a remarqué que, même s’il pourrait y avoir une convergence entre les pays qui ont traditionnellement été le moteur économique et politique de la zone euro, notamment l’Allemagne et la France, une analyse détaillée des positions franco-allemandes, ainsi que d’autres membres de la zone euro, suggère que des différences substantielles persistent. Compte tenu du fait que les prochaines élections européennes auront lieux dans moins des deux ans, la «fenêtre d’opportunités» pour convenir d’un projet partagé est très étroite. L’oratrice a terminé son intervention en rappelant que la situation d’instabilité politique des grands pays du sud de l’Europe, notamment l’Espagne et l’Italie, risque de marginaliser ces États membres dans un éventuel processus politique et diplomatique de réforme de l’Europe.
Selon Mme Berès, et comme l’indique le rapport du Parlement européen pour lequel la députée S&D était rapportrice avec son collègue PPE Reimer Boege, après le succès initial de l’euro, la zone euro a manifesté un manque de convergence et de coopération politique, alors que la multiplicité des crises et des défis mondiaux requiert de la zone euro qu’elle fasse au plus vite un saut qualitatif en matière d’intégration. Toutefois, la députée a précisé qu’il faudrait regarder la question de l’euro dans une perspective plus générale car, comme l’a rappelé M. Maes, le libre échange peut fonctionner s’il s’accompagne de politiques qui recouvrent les aspirations des peuples. Or, comme la «carte électorale» du Brexit en témoigne, les zones les plus marginalisées par le processus de mondialisation ont été plus favorables à la sortie du Royaume-Uni que celle plus incluses. Ces questions n’ont pas reçu assez d’écho. Il faudrait faire un pas vers la construction d’un marché intérieur et d’un système de gouvernance qui ne facilitent pas seulement les échanges, mais qui tiennent aussi compte de la soutenabilité économique et sociale des politiques macroéconomiques. Mme Berès a ajouté que, même s’il y a sur la table des propositions qui visent à améliorer la gouvernance de la zone euro comme celle de la création d’un poste de «ministre européen des finances», le manque de solidarité au niveau européen, et l’opinion selon laquelle un changement de la structure de la zone euro pourrait se faire seulement quand l’ensemble des pays membres seront prêts, empêchent de consolider le processus d’intégration politique et économique, contrairement à la vision souhaitée par Jean-Claude Juncker dans son discours sur l’état de l’Union.
Sur ce sujet, M. Maes a mis en avant la montée des mouvements d’opinions protectionnistes qui soutiennent la nécessité de «dé-globalisation» des biens et services. La théorie économique du libre-échange reste toujours un modèle valide, toutefois, selon l’orateur, le principe, adopté par le modèle d’intégration européen, pose problème au niveau politique. En effet, c’est bien au niveau politique que l’intégration européenne a initialement trouvé son moteur: elle s’est construite dans l’après-guerre sur la promesse d’une paix et d’une sécurité durables, et de la démocratie sur notre continent. Au fil du temps, l’élargissement a étendu cette promesse aux nouvelles démocraties d’Europe du Sud et de l’Est. Alors que le continent a connu une période de stabilité politique sans précédent, l’intégration économique n’a soudain plus été présentée comme un moyen de parvenir à cette fin politique: elle s’est en réalité retrouvée au centre d’une promesse de prospérité économique et de protection des travailleurs européens, pile au moment d’une période de changements technologiques et de concurrence mondiale accrue. Et beaucoup estiment aujourd’hui que l’Europe n’a pas tenu cette promesse. De plus, les conflits qui ont ravagé notre continent s’éloignent dans le temps, et leur souvenir s’estompe pour les nouvelles générations. En conséquence, le projet européen est désormais jugé davantage d’un point de vue économique que politique. Il y a une nécessité pour les décideurs politiques européens à ne pas hésiter à discuter à ce niveau politique, tout en entretenant des débats économiques fondamentaux sur la libéralisation, le libre-échange et la libre circulation des capitaux pour expliquer, notamment, comment le projet européen a permis de récolter les bénéfices tangibles pour tous. L’orateur a aussi remarqué qu’il est intéressant de noter la parallèle prise de conscience par les entreprises de l’importance de politiques gouvernementales efficaces en ce qui concerne une mondialisation plus équitable et durable. Par exemple, la réalisation des objectifs de l’aide au développement et à la protection environnementale, tels que les Objectifs de développement durable des Nations Unies, est un thème auquel les entreprises sont de plus en plus sensibles et qui nécessite, d’après les Nation-Unies, la participation active du secteur privé, notamment en matière de financement. Le Brexit peut être l’opportunité pour l’Union européenne d’améliorer le marché unique. Il y a donc nécessité de continuer à coopérer avec le Royaume-Uni non seulement en ce qui concerne la question de l’aide au développement, mais aussi dans le cadre des programmes des organismes internationaux que sont les Nations Unies, le G20, ou encore la Banque Mondiale, afin de renforcer la cohérence de politiques qui visent une meilleure soutenabilité du processus de globalisation et d’assurer leur mise en œuvre effective.
Parmi les autres thèmes abordés durant le débat et la session questions-réponses figuraient: la proposition d’une Europe à cercle concentrique; le principe de solidarité dans l’Union européenne; la compétitivité des entreprises de la zone euro; les fractures nord-sud et est-ouest; la convergence entre pays de la zone euro ; l’absence de l’Europe dans les débats nationaux; le Royaume-Uni et le modèle de Singapour; la possibilité d’une union fiscale; la possibilité d’une «guerre fiscale» avec le Royaume Uni après le Brexit; la question du développent durable; la question d’une meilleure redistribution des richesses, la question de la frontière avec l’Irlande; la question de la taxation de grandes entreprises du marché numérique.