Lundi 9 juillet 2018
Dialogue monétaire avec Mario Draghi
Pervenche Berès (S&D). – Merci Monsieur le Président, je voudrais poser une question sur la gouvernance de la Banque centrale et des banques centrales nationales puisque vous avez saisi, au mois d’avril, la Cour de justice sur le cas du gouverneur de Lettonie, M. Rimšēvičs, suspendu de ses fonctions par le gouvernement au motif de corruption.
La première partie de ma question, c’est, d’abord, que saviez-vous, non seulement des activités des clients hors zone euro qui pouvaient utiliser cette banque centrale ou des risques de blanchiment d’argent tels qu’ils ont été identifiés par le Congrès américain, mais surtout du comportement et des agissements du gouverneur et des risques de dérive?
Nous comprenons que vous vous êtes renseigné auprès de la Cour concernant la procédure en Lettonie mais une question se pose tout de même: comment, dans le cas d’une suspicion ou d’une inquiétude quant à la probité d’un gouverneur de banque centrale d’un des États membres de la zone, pensez-vous que l’on doive intervenir pour faire cesser ses fonctions dans le respect des statuts de la Banque centrale et de l’indépendance des banques centrales nationales?
Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne. – Je souhaite signaler avant tout que la BCE n’a pas connaissance des éléments de l’enquête concernant le comportement du gouverneur Rimšēvičs.
Permettez-moi tout d’abord de préciser qu’il s’agit de protéger l’indépendance personnelle des membres du conseil des gouverneurs. Sur la base de cette première condition, nous avons respecté l’article 14, paragraphe 2, des statuts, lequel accorde aux gouverneurs des banques centrales nationales une certaine protection en ce qu’ils peuvent être relevés de leurs fonctions s’ils ne remplissent plus les conditions nécessaires à l’exercice de leurs tâches ou s’ils ont commis une faute grave. Cette disposition permet également au conseil des gouverneurs de saisir la Cour de justice d’une décision visant à relever un gouverneur d’une banque centrale nationale de ses fonctions.
Sur cette base, le conseil des gouverneurs a décidé, le 7 mars 2018, de saisir la Cour de justice des mesures de sécurité individuelles imposées à M. Rimšēvičs, y compris l’interdiction d’occuper le poste de gouverneur, au motif qu’elles constituaient une destitution de ses fonctions et que l’exigence substantielle de l’article 14, paragraphe 2, des statuts pouvait à présent être remplie.
Cette décision de renvoyer l’affaire devant la Cour de justice de l’Union européenne ne vise pas à entraver l’enquête judiciaire en Lettonie, ce qui a été clairement précisé dans deux lettres que j’ai adressées au Premier ministre et au ministre des finances. Voilà où nous en sommes.
Il convient ensuite de noter que l’enquête se poursuit au niveau national. Depuis que nous avons saisi la Cour de justice, une mise en examen a été prononcée, si je ne m’abuse, et la situation évolue dans le pays. Mais plus généralement, cette affaire a mis en évidence la nécessité de prendre des mesures générales de lutte contre le blanchiment de capitaux. J’ai souligné cette question lors de la précédente audition: une coopération nettement plus importante doit être mise en place entre les autorités de contrôle, tant au niveau national que dans le cadre du mécanisme de surveillance unique (MSU), et les autorités de lutte contre le blanchiment de capitaux – qui sont, pour le moment, uniquement d’ordre national– ainsi qu’entre ces dernières; cette mesure est très importante et, dans ce domaine, c’est la seule à prendre. Il s’agit vraiment de la seule action qui soit susceptible d’éviter que des cas de ce type se reproduisent.
Pervenche Berès (S&D). – Monsieur le Président, êtes-vous en train de dire que vous n’aviez aucune information du risque de corruption du gouverneur letton avant l’intervention des États-Unis?
Je reviens sur la deuxième partie de ma question à laquelle vous n’avez pas répondu: que pensez-vous qu’une banque centrale puisse ou doive faire lorsqu’un gouverneur de banque centrale est soupçonné de corruption?
Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne. – En général, la BCE attache une grande importance à la bonne conduite des membres du conseil des gouverneurs et, plus globalement, des organes de décision. Cet aspect est essentiel pour préserver la confiance du public et représenter une fonction publique irréprochable. Nous sommes très préoccupés au vu des événements actuels, et c’est pourquoi nous avons décidé de saisir la Cour de justice afin d’examiner les mesures provisoires qui doivent être prises pour faire face à cette situation.
Voilà ce que nous savons. Nous avons fondé notre action sur ce que nous savions, ni plus ni moins.
Pervenche Berès (S&D). – Monsieur le Président, vous ne saviez rien donc avant qu’il soit suspendu?
(Le Président retire la parole à l’oratrice)
L’article d’Eurativ du 4 septembre 2018 : https://www.euractiv.fr/section/economie/news/lettonie-le-corruption-du-gouverneur-fragilise-la-bce/