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Lundi 13 Décembre 2010
Pervenche Bérès: « Nicolas Sarkozy fait du suivisme de l’Allemagne l’alpha et l’oméga de sa politique européenne »
« L’eurodéputée socialiste commente la position commune franco-allemande sur la politique économique européenne. »
Grégoire Favet : Vous êtes présidente de la Commission des affaires sociales et de l’emploi au Parlement européen. Une question simple sur ce qui se passe en ce moment en zone euro à l’occasion de ce treizième conseil des ministres franco-allemands : est-ce que l’Allemagne est « anti-européenne » aujourd’hui ?
Pervenche Bérès : Vu que le sujet essentiel à l’ordre du jour était la question de savoir comment est-ce que les Français et les Allemands vont répondre à la proposition formulée par Jean-Claude Juncker et le ministre italien des finances Giulio Tremonti, de lancer des « eurobonds », et que les Français et les Allemands s’apprêtent visiblement, au niveau des gouvernements, à apporter la même réponse, l’Allemagne n’a pas l’air d’être tout à fait seule dans cette position anti-européenne.
Une position que Paris a rejointe peut-être un peu tardivement.
Vous pensez que c’est impossible aujourd’hui pour Nicolas Sarkozy de ne pas être sur la même ligne qu’Angela Merkel ?
Je vois en tout cas que le président Nicolas Sarkozy a fait du suivisme de l’Allemagne l’alpha et l’oméga de sa politique européenne. Je ne sais pas s’il a l’intention de conduire le G20 comme cela, mais cela ne promet rien de très bon.
J’avais déjà été frappée lors du conseil de Deauville, lorsque les Français et les Allemands se sont mis d’accord sur ce que devrait être le futur de la zone euro. Au fond chacun doit jouer sa partition : la chancelière Merkel joue sur la base de ce qu’est son camp électoral aujourd’hui.
En France, je crois que depuis le passage à l’euro, sous l’impulsion de Jacques Delors, nous disons des choses sur ce que doit être la gouvernance économique, qui n’est pas simplement le pacte de stabilité. Or aujourd’hui on a l’impression que le président Sarkozy a oublié tout cela, et a une obsession qui est d’être le premier qui dit « oui » à la chancelière Merkel.
Vous pensez vraiment qu’Angela Merkel mène sa politique européenne uniquement sur des questions de politique interne ?
En tout cas, la chancelière Merkel est dans une situation très particulière à deux points de vue, que l’on oublie parfois en France : d’abord, elle est dans une situation démographique très anxiogène pour l’Allemagne elle-même. Et ensuite elle est, à l’échelle de l’Union européenne, la seule qui soit dans une position presque comme les Chinois, c’est-à-dire avec une stratégie d’exportation extrêmement forte, une déflation salariale à l’intérieur…
Mercantile même…
En tout cas, c’est une politique unique à l’échelle européenne. Il ne s’agit pas de dire qu’il faut que l’Allemagne fasse aussi mal que les autres, mais il s’agit d’intégrer la stratégie allemande dans une stratégie pro-européenne. Je ne crois pas que qui que ce soit s’en sortira seul aujourd’hui, que ce soient les Français ou les Allemands.
Je crois que passer son temps à dire que l’Allemagne a tort c’est juste la pire des choses à faire, mais je ne crois pas non plus que l’idée de donner raison à l’Allemagne avant même d’avoir discuté et d’avoir dit ce qu’il faudrait faire ensemble soit une bonne solution.
C’est Paris qui devrait jouer ce rôle de contrepoids dans cette action ?
Bien sûr, or Paris plutôt que de mettre sur la table des propositions fortes qui sont nécessaires pour aller de l’avant – par exemple soutenir la proposition très courageuse de Jean-Claude Juncker en faveur des « eurobonds » – galope derrière une position allemande qui n’est pas réaliste et qui n’est pas ce qui va rassurer les marchés.
Les marchés ne vont pas être rassurés si les Européens, tout d’un coup, se mobilisent dès que l’alarme est sonnée. Les Européens attendent de voir s’il y a un pilote dans l’avion, et cela suppose un petit peu de recul.
On va revenir sur cette question des « eurobonds » mais juste un mot, parce que Jean-Claude Juncker disait qu’Angela Merkel,dans cette affaire, était « anti-européenne », et que l’Allemagne raisonnait même de manière simpliste dans cette histoire des euro-obligations. On atteint quand même un niveau de violence verbale assez perturbant…
Cette violence verbale vous la trouvez en Allemagne même.
Mais ce n’est pas l’habitude de l’Eurogroupe ?
Non, il y a un moment de tensions, d’inquiétude, parce qu’on voit bien qu’aucune des décisions qui ont été prises jusqu’à présent ne calment les marchés.
En Allemagne, je vous invite à lire l’interview de Helmut Schmidt, qui reste quand même l’un des grands pères fondateurs de l’euro, avec une grande lucidité, une grande sagesse, sur ce que c’est que la densité de l’union économique mondiale.
l a fait une interview où il dit que l’Europe manque de leader, que la chancelière Merkel et le ministre des Finances ne comprennent pas le fonctionnement des marchés monétaires et des marchés financiers, que le ministre des Finances est peut-être très bon sur les questions budgétaires, mais pas sur les questions des marchés.
(…)