Par Pervenche Berès, rapportrice de la Commission spéciale sur la crise du Parlement européen
L’euro a besoin de plus que d’un bricolage de convenance du traité de Lisbonne. La crise que connaissent plusieurs Etats membres de la zone n’est pas qu’une crise de ces Etats. Elle reflète le déséquilibre connu depuis l’origine, entre le pilier économique et le pilier monétaire de l’Union, qui sous-tend l’euro. Cette crise doit servir à le corriger.
Or aujourd’hui les chefs d’Etat et de gouvernement, sous l’impulsion de la Chancelière Merkel et du Président Sarkozy, se sont mis d’accord sur une réforme à minima du traité de Lisbonne afin de pérenniser un mécanisme de gestion de crise des Etats de la zone euro. Pourtant, cette avancée incontestable pourrait, selon le président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, être réalisée sans révision du Traité. Pour des raisons de politique intérieure propres à l’Allemagne, le Conseil européen en a décidé autrement. C’est l’option courte vue qui prime, comme le dénonçait Tommaso Padoa-Schioppa avant de nous quitter. Depuis le début de la crise, les chefs d’Etat européens avec la complicité du Président de la Commission, M. Barroso agissent trop peu et trop tard, sous la pression des marchés. Aujourd’hui, ils risquent de rater l’occasion de faire le bond en avant que l’Europe attend.
Quant à la révision du pacte de stabilité qui nous est proposée, elle ignore les défis en termes d’emploi et d’investissement long terme, auxquels les Etats et l’Europe devraient mieux contribuer à travers un investissement public renforcé et intelligent. Elle poursuit une méthode qui repose sur une logique de surveillance quantitative nourrie de méfiance mutuelle au lieu de créer un cadre qualitatif de coopération. Elle renforce le Pacte sans tenir compte de son échec dans le passé alors que, respecté ou non, il n’a pas empêché l’augmentation des divergences de compétitivité entre les Etats membres de la zone, ne jouant ainsi aucun rôle utile en faveur de la nécessaire cohésion régionale. Elle continue à reposer à tort sur l’idée qu’il suffirait que chacun garde sa maison, ses finances en ordre, pour que la maison commune se porte bien.
Dans la réalité, les marchés jouent avec les maillons faibles : l’euro en tant que devise internationale et au sein de la zone, d’abord la Grèce puis l’Irlande. Ne faire qu’y répondre, c’est s’interdire de se donner de l’air plutôt que de réagir aux spéculateurs, de retrouver la maîtrise du destin des Européens, c’est menacer la viabilité à long terme de l’euro et installer l’Europe à la traîne des autres puissances mondiales.
Si révision il doit y avoir, elle doit porter sur l’essentiel. Ne pas gâcher cette crise, c’est utiliser la force qu’elle devrait nous donner pour engager la réforme du Traité dont les membres de la zone euro et donc l’Europe toute entière ont besoin. Elle tient en quelques propositions fortes :
- installer un pilote dans l’avion : un M. (ou une Mme) Euro, avec la double légitimité d’être vice-président de la Commission et président du Conseil de l’Ecofin et de l’Eurogroupe. Il ou elle pourrait représenter la zone à l’extérieur et son administration serait l’équivalent d’un trésor public européen
- permettre l’harmonisation fiscale et donc l’abandon de la règle de l’unanimité,au moins en matière de droit des sociétés,
- la mutualisation d’une partie de la dette souveraine et l’émission d’euro-obligations,
- la capacité d’emprunt propre de l’Union européenne pour financer des investissements à long terme,
- une vraie prise en compte des questions sociales, en particulier dans les objectifs de politique économique et monétaire,
- un réel budget de l’Union augmenté sur la durée et financé par une ou des ressources propres,
- une politique de changes au service des intérêts européens,
- un véritable contrôle parlementaire qui associe à leur juste place Parlement européen et parlements nationaux, y compris dans le travail en commun.
L’euro, dont les Français sont conscients du rôle protecteur et auquel l’Estonie vient d’adhérer, est un formidable atout pour les Européens, mais appartenir à l’eurozone impose des conditions que la crise éclaire d’un jour nouveau. On ne peut pas dire que ces conditions seraient injustes car elles reviendraient à en poser de nouvelles pour les futurs candidats à l’adhésion à l’euro dès lors qu’elles s’imposeront sans discrimination tant à ceux qui en sont déjà membres qu’à ceux qui y aspirent. Si la procédure de révision est trop lourde et qu’il faut, comme certains le pensent, utiliser tout le potentiel du Traité, alors c’est le moment d’instituer une coopération renforcée des membres de la zone euro où chacun, individuellement et collectivement, prend sa part de responsabilité.
Le Parlement européen devrait prendre les siennes et exiger une telle révision du Traité, y compris parce que le traité de Lisbonne lui reconnaît de nouveaux pouvoirs dans ce domaine avec la possibilité de demander l’organisation d’une convention. Pour l’instant la réforme du Traité proposée par le Conseil européen serait la première où le Parlement européen n’aurait apporté aucune valeur ajoutée.