Revue de Presse : L’austérité, incontournable pour l’Europe ?

Article publié sur le site La-Croix.com en date du 25 Mai 2010 :

«Angela Merkel avait prévenu en 2008 : mener partout des plans de relance exigeait de réfléchir à leur calibrage, vu l’état des finances publiques, et de prévoir les voies de retour à la normale », rappelait mardi 25 mai Sylvie Goulard, de passage à Bruxelles. Pour l’eurodéputée MoDem, tant l’Allemagne que les marchés financiers battent aujourd’hui le rappel à l’ordre budgétaire. Les annonces de plans de rigueur se succèdent.

La nouvelle coalition au pouvoir outre-Manche a rendu publiques lundi des coupes immédiates dépassant les 7 milliards d’euros avant un nouveau train de mesures le 22 juin. En Italie, le gouvernement Berlusconi devait adopter mardi un collectif budgétaire de 24 milliards d’euros sur les deux prochaines années. Voisin de la zone euro, le gouvernement danois a présenté mardi pour 3,2 milliards d’euros d’économies d’ici à 2013.

Ces annonces s’ajoutent à des mesures prises dans le même sens en France, en Espagne et au Portugal. Elles ont déjà cours en Irlande et en Grèce, d’où est partie la crise de confiance sur les marchés financiers dans la capacité de remboursement de certains États de l’union monétaire. La chute sur les places boursières mardi a encore illustré cette nervosité des investisseurs.

«Le risque est que certains pays fassent du zèle dans l’austérité»

« Avec la Grèce, les gouvernements européens ont compris qu’ils risquaient de payer cash un manque de crédibilité pour réduire leur endettement. C’est pourquoi ils prennent les devants plutôt que de subir une remontée de leurs taux d’intérêt à long terme, qui les empêcheraient de se financer », analyse Peter de Keyser, économiste en chef d’une société belge de conseil en investissement, Petercam. C’est donc pour arrêter une contagieuse crise de confiance gagnant d’autres États que s’additionnent les mesures d’austérité, aucun ne jugeant viable le recours à l’inflation ou une sortie de l’union monétaire.

Cependant, un tournant trop généralisé de la rigueur risque d’étouffer une éphémère reprise. « Soit vous tuez vous-même votre croissance par des mesures d’austérité, soit les marchés la tueront en faisant grimper les taux d’intérêt », résume Peter de Keyser, selon qui « seule l’Allemagne, qui garde la confiance, pourrait aider à relancer ». Mais Berlin ne s’offre pas en alternative à la rigueur et se pose au contraire en modèle de vertu budgétaire.

« Le risque est en l’occurrence que, sous la pression des marchés, certains pays fassent du zèle dans l’austérité. Ce serait une erreur », signale Olivier Blanchard, économiste en chef du Fonds monétaire international, dans La Tribune de mardi. « La Grèce a besoin d’un ajustement budgétaire dès maintenant. Celui-ci ne sera pas favorable à la croissance à court terme mais il n’y a pas d’alternative. »

«Accélérer la consolidation budgétaire n’affectera la croissance que marginalement»

Mais, selon lui, « les autres pays européens n’ont pas besoin de prendre des mesures aussi draconiennes que la Grèce. Ils sont plus crédibles au départ, ont une dette moins élevée et peuvent s’offrir un ajustement plus progressif ». Une première alternative à l’austérité immédiate générale serait donc de l’étaler davantage dans le temps et d’en nuancer l’ampleur selon les pays.

De plus, toute mesure pour réduire le déficit budgétaire n’implique pas forcément de sabrer la croissance, comme le souligne Olivier Blanchard en prenant l’exemple du recul de l’âge de la retraite : « Si les gens prennent leur retraite plus tard, ils ont moins besoin d’épargner et ils peuvent donc consommer un peu plus. »

Pour le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, « accélérer la consolidation budgétaire n’affectera la croissance que marginalement ». « Je suis même convaincu que des déficits plus bas vont restaurer la confiance des consommateurs et stimuler la croissance », a-t-il déclaré mardi à Bruxelles.

Se défaire de la vision imposée par les marchés financiers

Surtout, l’austérité ne constitue pas une fin en soi. « Il ne s’agit pas que d’avoir une austérité à toute épreuve mais de trouver des voies durables vers la prospérité », estime le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, selon qui « une reprise durable dépend de la relance du secteur privé ».

À condition de finir de le réformer, insiste Paul de Grauwe, économiste à l’université de Louvain. « Les gouvernements de la zone euro doivent se défaire de la vision imposée par les marchés financiers selon laquelle la cause de l’actuelle crise de la dette publique viendrait de la prodigalité budgétaire passée de ces mêmes gouvernements.

Tel n’est pas le cas. La cause est la prodigalité de larges segments du secteur privé, et en particulier du secteur financier. Le renforcement des mesures du pacte de stabilité ne résoudra rien à ce problème », prévient-il dans un article du Centre d’étude des politiques européennes à Bruxelles.

Accroître la capacité budgétaire de l’UE

L’alternative à la rigueur serait donc de s’attaquer en profondeur aux récentes dérives du secteur financier, à la racine de la crise de la dette publique. L’UE a commencé à s’y employer par de nouvelles réglementations encadrant les agences de notation ou les fonds spéculatifs et la création de nouvelles agences de supervision.

À côté de ce travail de longue haleine, des élus européens proposent aussi de sortir de cette crise par non plus une vague coordination des politiques budgétaires mais leur intégration européenne.

Rapporteur de la commission spéciale sur la crise économique au Parlement européen, l’eurodéputée socialiste Pervenche Bérès propose d’accroître la capacité budgétaire de l’UE, en créant de nouvelles ressources propres au budget européen. La Commission européenne piloterait de grands projets dans les transports et l’énergie. Mais alors que l’exécutif communautaire prépare le budget européen pour 2011, les gouvernements nationaux appellent aussi les institutions européennes à faire elles-mêmes montre de rigueur budgétaire.
Sébastien MAILLAR, à Bruxelles