LEMONDE.FR | 14.06.11 |
Le 14 juin, les députés de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen vont auditionner Mario Draghi comme candidat à la présidence de la Banque centrale européenne (BCE).
Depuis sa sélection par les ministres européens des finances pour succéder à ce poste à Jean-Claude Trichet, en octobre, beaucoup louent sa connaissance des marchés financiers. Ce serait son atout maître, mais c’est aussi sa faiblesse, puisqu’il l’a notamment acquise dans la banque d’investissement américaine Goldman Sachs, lorsque de janvier 2002 à 2005 il y était vice-président pour l’Europe, chargé des Etats souverains et des grandes entreprises italiennes.
C’est cette banque qui, de 200 à 2002, a conseillé la Grèce dans l’utilisation de produits dérivés pour masquer ses déficits budgétaires dont elle paye aujourd’hui le prix fort. Cette activité de conseil avait, à l’époque, rapporté 300 millions de dollars de rémunération à la banque. M. Draghi peut-il affirmer qu’il n’y était pour rien alors qu’il était en charge de la gestion des dettes souveraines ? Peut-il affirmer que pendant trois ans personne ne lui a informé de la situation alors que son rôle était de vendre les services de Goldman Sachs à d’autres Etats ? Fort de son expérience, quelle analyse critique fait-il aujourd’hui du fonctionnement et des pratiques de cette banque qui ont favorisé la financiarisation de l’économie, enrichi les spéculateurs, nuit au financement de l’économie réelle et contribué à l’explosion des dettes souveraines ?
Goldman Sachs, c’est la banque dont le PDG a perçu 14 millions de dollars de bonus en 2010. Aux Etats-Unis, on le sait, son pouvoir s’appuie sur d’anciens dirigeants qui exercent les plus hautes fonctions publiques, comme Henry Paulson et Tim Geithner, ancien et actuel secrétaire d’Etat au Trésor. Son réseau d’influence s’étend à l’Europe même si cela est moins connu. Mario Monti, ancien commissaire européen chargé du marché intérieur puis de la concurrence est conseiller de Goldman Sachs. Peter Sutherland, ancien commissaire européen en charge de la concurrence en est le président. Romano Prodi, ancien président de la commission européenne et président du conseil en Italie, fut aussi l’un de ses conseillers. Otmar Issing, ancien membre du directoire de la BCE est devenu conseiller de la banque où il côtoie même d’anciens membres du secrétariat de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen recrutés par Goldman Sachs pour essayer d’influencer les députés européens que nous sommes.
Ce modèle de relation entre Goldman Sachs et la sphère politique, c’est celui du « too close to be regulated », celui de la capture réglementaire qui a conduit les pouvoirs publics a adopter des règles bien trop favorables aux banques. Cela tourne le dos à ce dont l’Europe a besoin. Nous attendons toujours que M. Draghi en fasse la critique.
En tant que président de la BCE, il dirigera le Comité européen du risque systémique créé en 2010 pour réduire les déséquilibres macroéconomiques et assurer la stabilité financière. Il devra y défendre la standardisation des produits financiers pour permettre davantage de transparence et de supervision contre la sophistication et l’opacité croissante des marchés, dans laquelle Goldman Sachs excelle. Il devra défendre le long terme contre la finance court termiste. Il aura peut-être à interdire certaines pratiques, telles que celles justement inventées par Goldman Sachs et ses conseillers pour éviter une nouvelle crise financière. Saura-t-il combattre aujourd’hui ce qu’il a hier promu et qu’il n’a jamais critiqué ?
Nous avons la conviction que nos questions sont légitimes. Y répondre est le seul moyen de lever les doutes et d’établir la confiance nécessaire à l’exercice de la fonction à laquelle M. Draghi aspire. Sera-t-il le président qui permettra d’écrire une nouvelle page de l’Histoire de la BCE dont la zone euro a besoin ? Rendez-vous au Parlement européen.
Pervenche Berès (PS) et Pascal Canfin (EELV), membres de la Commission économique et monétaire du Parlement européen