Intervention de Pervenche Berès
Présidente de la commission de l’emploi et des affaires sociales
du Parlement européen
Panel de clôture de la conférence sur les droits sociaux fondamentaux et la directive sur le détachement des travailleurs dans le cadre du marché unique organisée les 27 et 28 juin 2011 à Bruxelles par la Commission européenne
Madame la Représentante,
Monsieur le Commissaire,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames, messieurs,
Permettez-moi tout d’abord de féliciter la Commission pour l’organisation de cette conférence. A l’heure où l’Union économique est menacée, où les politiques d’austérité sont rejetées par nos concitoyens et plus particulièrement la jeunesse en proie au chômage de masse et à la précarité, il est de notre responsabilité d’apporter des réponses en matière sociale, de droits et de protection.
A la suite des arrêts de la Cour de Justice Viking, Laval et Rüffert, le moyen juridique de parvenir à l’équilibre recherché par la directive sur le détachement des travailleurs, à savoir d’assurer la libre prestation des services dans le cadre d’une concurrence loyale et de respecter les droits des travailleurs, doit être trouvé. Des questions soulevées par les arrêts doivent être clarifiées. Elles portent sur la base juridique, la définition de travailleur détaché et de service transnational, la possibilité pour les Etats membres d’inclure la protection des travailleurs en tant que disposition d’ « ordre public », ou le respect du rôle des syndicats dans la négociation et la mise en œuvre des conventions collectives.
Face à ces questions, la Commission privilégie l’outil du règlement d’interprétation à celui d’une révision de la directive. Selon nous, cela ne suffira pas pour apporter la clarté requise, lever les zones d’ombre et lutter contre les abus. Une révision de la directive elle-même est nécessaire et le Parlement européen s’est exprimé en ce sens le 22 Octobre 2008 dans le rapport de mon prédécesseur Jan Andersson sur « les défis pour les conventions collectives dans l’UE ».
Cela avait également constitué un point majeur des demandes du groupe socialiste et démocrate au Président Barroso dans sa campagne pour un second mandat.
Indépendamment des problèmes rencontrés dans l’application de la directive sur le détachement des travailleurs dans le cadre de conventions collectives, il faut mettre fin aux situations d’abus et de contournement de la législation. La presse française s’est, ces derniers jours, fait l’écho d’un scandale sur le chantier d’une centrale nucléaire à Flamanville où je me rendrai en fin de semaine. Des ouvriers polonais y étaient employés par l’intermédiaire d’une entreprise d’intérim irlandaise dont le siège social est déclaré à Chypre. Leur conditions d’embauche, de travail et de vie étaient en violation avec de nombreuses dispositions du droit français mais également européen. Leur rémunération faisant l’objet d’une retenue à la source au regard de la législation chypriote mais qui n’ouvrait aucun droit.
Dans ce cas comme dans tant d’autres, la Commission européenne est relativement démunie pour demander aux autorités nationales de contrôler la régularité du détachement des salariés concernés.
Il faut donc s’outiller pour lutter contre les sociétés « boîtes aux lettres » et pénaliser leur création.
L’article 4 de la directive 96/71 impose simplement aux Etats membres de « désigner un ou plusieurs bureaux de liaison » pour assurer une coopération avec les autres Etats membres dans la vérification du respect des dispositions de la directive détachement. Cette procédure pourrait être considérablement renforcée et prévoir par exemple que dès lors qu’elles sont saisies d’une demande d’information de la part d’un Etat membre, les autorités nationales ont l’obligation de transmettre un certains nombres d’informations (par exemple la nature de l’activité pour laquelle l’inscription au registre a été faîte, niveau des cotisations sociales prélevées sur des activités prestées à l’étranger en comparaison par rapport à celle prestée sur le territoire national). En cas de litige, la commission européenne pourrait assurer une fonction de médiation.
Par ailleurs, depuis le traité de Lisbonne, les projets de directive d’harmonisation dans le champ social peuvent contenir des dispositions prévoyant une harmonisation des infractions pénales. Cette nouvelle clause pourrait être utilisée pour inscrire dans la directive détachement pour prévoir une infraction de « création d’une entreprise fictive ayant pour objet de contrevenir aux dispositions de la présente directive ».
Nous plaidons également pour la mise en place d’une procédure spécifique visant à encadrer l’indemnisation du préjudice subi quand l’infraction au droit communautaire de libre prestation de service est causée par une action syndicale. Si l’on souhaite mieux assurer la conformité du droit communautaire à la convention 87 de l’OIT sur la liberté syndicale, un dispositif de responsabilité civile particulier doit être instauré. Un syndicat pourrait par exemple saisir la Commission européenne, selon une procédure d’urgence, d’une requête visant à lui permettre de bénéficier d’une protection contre les risques d’une mise en jeu de sa responsabilité civile pour infraction aux règles de la libre prestation de services.
Il convient enfin de chercher une articulation plus étroite entre la directive détachement et le règlement 883/2004 sur la coordination en matière de sécurité sociale. Si des progrès sont réalisés pour renforcer l’application de la directive détachement, il conviendrait d’en tirer partie également en matière de droit social applicable et notamment de régime de cotisations sociales. Des inspections communes permettraient de renforcer la cohérence dans l’application de ces textes et constituent une piste à explorer.
Permettez-moi de conclure sur le projet de règlement dit « Monti II » qui nous est présenté comme une solution à tous les conflits entre libre circulation d’une part et droits sociaux d’autre part. Je salue la volonté du Commissaire Barnier de vouloir rééquilibrer le marché intérieur, mais je reste convaincue qu’une révision en tant que telle de la directive est nécessaire. J’attire plus particulièrement l’attention sur la base légale retenue pour ce règlement, l’article 352 du TFUE. Cet article ne permet pas l’association du Parlement et requiert l’unanimité au Conseil. Je suis sceptique quant à la capacité d’un tel instrument à répondre réellement aux enjeux posés et invite la Commission à se donner le temps de la réflexion. Nous ne pouvons plus nous permettre de nouveaux cas de détournement de la législation européenne qui donnent l’impression à nos concitoyens que libre circulation rime avec nivellement par le bas de leurs droits sociaux et mise en concurrence.
Je vous remercie.