Le chantier EPR 3 de Flamanville n’est pas, pour reprendre les termes du Directeur de l’aménagement du projet, «un parc d’attraction», et les journalistes n’y sont pas forcément les bienvenus, pas plus d’ailleurs que les délégations de parlementaires européens. C’est un chantier d’envergure européenne, représentant 5 milliards d’investissement et mobilisant près de 150 entreprises et 3300 salariés, parmi lesquels un tiers d’intérimaires venus de toute l’Europe ou presque.
Vendredi 1er juillet, nous nous sommes rendues à Flamanville pour vérifier sur pièce et sur place les conditions d’embauche, de travail et de vie qui ont été dernièrement dénoncées par plusieurs syndicats et confirmées par l’Autorité de sûreté nucléaire française.
Les échanges que nous avons pu avoir sur site ont conforté nos doutes et nos inquiétudes concernant le sort réservé aux travailleurs employés sur ce chantier, notamment ceux originaires de l’Europe de l’Est. Au cours de nos discussions, a notamment été pointé du doigt le rôle pour le moins obscur joué par la filiale chypriote d’une société d’intérim irlandaise ayant recours à de la main d’œuvre polonaise. Ce sous-traitant s’autoproclame «solution de main d’œuvre éprouvée pour les projets européens» et travaille en étroite relation avec le groupe Bouygues.
Il aura fallu toute notre insistance pour que le représentant de l’Etat se préoccupe de ces agissements et que le Parquet de Cherbourg engage, à l’issue de notre visite, une enquête préliminaire pour travail dissimulé à l’encontre de cet intermédiaire. On a connu le Gouvernement français plus prompt à réagir à des soupçons de fraude sociale, en particulier lorsque ces derniers portent sur des bénéficiaires des minima sociaux.
Comment de telles dérives peuvent-elles avoir cours dans le cadre d’une construction labellisée «grand chantier», supervisé en tant que tel par un Préfet de la République, porté par l’opérateur historique d’électricité et mis en œuvre, pour sa partie génie civil, par l’un des fleurons nationaux du bâtiment et de la construction?
Comment le droit syndical a t-il pu être violé de cette manière, Bouygues n’autorisant qu’un syndicat maison et aucune représentation sur le site? Ce n’est pas la vision que nous nous faisons de la France, de l’Europe et des grands travaux. Nous faisons confiance à la justice française pour établir les manquements à la protection sociale des travailleurs qui semblent avoir été commis et déterminer les responsabilités en cause. En attendant, en tant que parlementaires européens, nous devons poursuivre nos combats et faire en sorte de mettre fin à ces dysfonctionnements.
Alors que le lancement d’un grand emprunt européen appuyé sur des euro-obligations, pour lequel notre groupe politique milite depuis plusieurs années, favoriserait, dans les années qui viennent, l’ouverture de grands chantiers, il est urgent que la Commission européenne nous entende et corrige la réglementation pour s’assurer que ces réalisations créatrices d’emplois puissent voir le jour dans des conditions socialement exemplaires et conformes aux valeurs de l’Union.
Dans cette perspective, nous allons nous appuyer sur le cas de Flamanville pour exiger une nouvelle fois de la Commission Barroso une révision des règles sur les travailleurs détachés au sein de l’Union européenne afin de lutter contre le dumping social. Cette révision devra notamment permettre de lutter contre les sociétés «boîtes aux lettres» et pénaliser leur création.
Le droit de la concurrence doit également être utilisé et une saisine de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) étudiée à l’instar de ce que viennent de faire des syndicats suédois du bâtiment pour dénoncer des conditions d’application de la directive détachement des travailleurs et du règlement sur la coordination en matière de sécurité sociale menant à des situations de concurrence déloyale.
Par ailleurs, dans le cadre de la réforme de la législation sur les marchés publics et de l’Acte pour le marché unique, nous demanderons au commissaire Barnier d’inclure une chaîne de responsabilité fiscale et pénale en cas de sous-traitance avec l’objectif de mettre fin aux abus constatés, particulièrement nombreux dans les cas de sous-traitance en cascade.
Il existe malheureusement trop d’exemples comme Flamanville en Europe. Nous avons réalisé le grand marché unique européen et créé l’euro. Nous devons maintenant construire une Europe sociale qui garantisse une égalité de traitement entre les salariés de l’Union sur la base du principe «à lieu et travail égal salaire égal et droits sociaux équivalents», et cela sans distinction de pays d’origine.