Intervention de Pervenche Berès

Université d’été du Parti Socialiste – La Rochelle

Atelier: « l’Europe progressiste, c’est pour quand? »

Samedi 27 août 2011

« Je voudrais commencer là ou Henri Weber a interrompu son propos liminaire. Pour deux raisons: la première c’est parce que, tous dans cette salle nous sommes absolument convaincus que la crise dans laquelle nous sommes plongés, cette crise qui a commencé par un vol de papillons sur les marchés financiers qui s’est transférée à la sphère économique et sociale et qui aujourd’hui en train de devenir dans de nombreux pays une crise politique est profondément une crise du libéralisme. Or si l’Europe ne devient pas progressiste assez vite, cette crise du libéralisme se transformera en une victoire radicale du libéralisme. Je m’explique: je pense que l’origine de cette crise ne commence pas avec le vol de papillons de la crise des subprimes aux Etats-Unis, elle commence avec un cycle trentenaire qui débute par l’abandon de l’étalon, qui coïncide avec le développement technologique comme toute révolution économique et qui s’accompagne de la chute du Mur de Berlin: c’est la vraie victoire posthume de Reagan et Thatcher qu’on est en train de vivre. C’est à dire que pendant 30 ans, cette idéologie libérale qui a favorisé la financiarisation de l’économie n’a pas atteint ses objectifs et n’a pas totalement réussi  à mettre à bas totalement l’Etat providence, la redistribution et la solidarité à travers le rôle de la puissance publique.

Or aujourd’hui, tous ceux qui au sein du PS, y compris dans la campagne des primaires, – ils ne l’ont pas forcément fait ici à La Rochelle mais ils le font parfois ailleurs –  plaident pour la rigueur, et  qui à l’occasion du débat à l’assemblée se laisseront piégés par  le président Sarkozy au motif que la crise serait né sans lui, en dehors de lui, il n’y serait pour rien, il ne serait que le pompier pour résorber les difficultés afin de sauver la France et qu’il y aurait des français irresponsables pour confier les clefs du Trésor à des Socialistes qui ne voteraient pas la règle d’or, nous nous laisserions totalement piégés.

J’espère qu’à la sortie de cette Université d’été, il n’y ait pas un Socialiste, français ou européen, qui puisse dire que le plaidoyer en faveur de la rigueur et de l’obsession de la dette n’est pas un piège créé par  les avocats les plus farouches du libéralisme à l’origine même de cette crise.

Il y a ici quelque chose d’absolument fondamental : si nous sommes uniquement le nez sur le guidon de ce que Standard and Poor’s et comparses nous demandent de regarder en termes de niveau de dette publique, nous allons tuer le socle de la social-démocratie.

La deuxième chose que je veux dire en introduction c’est la réponse à la question quand: nous avons quelques espoirs d’une première victoire. C’est un petit pays Nordique dans un paysage embrouillé par le drame Norvégien contre de jeunes socialistes réunis en université d’été. La première victoire que nous espérons c’est le 15 septembre au Danemark. Puisqu’aujourd’hui les derniers sondages donnent à la gauche 52,2% de perspectives de victoire.

La deuxième étape fondamentale, c’est la nôtre.

La troisième que nous espérons tous avec un effet de levier fondamental, c’est celle de l’Allemagne dans les conditions qu’Henri Weber a parfaitement décrites.

Quand on aura fait çà, on aura déjà progressé très concrètement, très bêtement, très bestialement vers le retour d’une Europe progressiste.

çà, c’est pour le niveau national.

Au niveau européen, l’échéance évidemment fondamentale c’est 2014. La prochaine fois, j’espère que nous ne serons pas seuls à défendre l’idée qu’on ne peut pas avoir n’importe quelle Europe qui gouverne et que la question de savoir si c’est une Europe de droite ou une Europe de gauche qui gouverne mérite d’être posée.

Nous n’avons pas tous toujours soutenu toutes les réformes institutionnelles qui nous étaient proposées mais au moins il y en a une sur laquelle nous sommes tous d’accord, c’est de donner davantage de lisibilité à la désignation du Président de la Commission.

Jacques Delors nous a dit depuis très longtemps que la question de la désignation du Président de la Commission européenne devait être arbitrée dans la campagne des élections européennes. Donc pour le niveau européen, l’arbitrage se fera à ce moment là. J’espère très fortement que cette fois ci nous ne commettrons pas l’erreur de ne pas avoir de candidat qui identifie nos valeurs, car sinon nous ne sommes pas audibles, nous se sommes pas crédibles.

Comment se fait-il, diable, que depuis que cette crise a éclaté, alors qu’elle est une crise du libéralisme, nous soyons toujours dans l’opposition dans beaucoup trop de pays et que les marchés contraignent nos gouvernements à arbitrer contre l’intérêt de leurs propres peuples.

Face à cela, nous n’avons pas reconstruit notre crédibilité.

Alors, comment reconstruire cette crédibilité? Je vais essayer de le développer autour de trois chapitres: la question économique, la question sociale et la question démocratique.

La question économique, évidemment, gouverne tout: ce qui est très frappant, c’est de voir qu’aujourd’hui on assiste au transfert du consensus de Washington au consensus de Bruxelles. Cette idée qu’il y aurait quelque part dans les mains de technocrates une bonne façon de piloter les politiques  économiques et qu’il y aurait une sagesse qui dépasserait l’arbitrage démocratique qui serait comment il faut revenir à l’équilibre. Ce consensus à Bruxelles est très fort. Au fond je vous laisse une option: est-ce le consensus de Bruxelles ou le consensus de Francfort. En tout cas, il est autour de ce pôle de compétitivité dans la rigueur et l’austérité.

Et cette question est pour nous socio-démocrates fondamentale. Car aujourd’hui les seuls arbitrages qui sont faits le sont au nom de ce que les marchés demandent. Regardez, sommet après sommet: Madame Merkel mais Monsieur Sarkozy aussi n’ont bougé que lorsque les marchés l’ont exigé. Et si le langage commence un peu à changer sur la question des euro-obligations, c’est aussi en fonction de ce que les marchés veulent. Les marchés ne sont pas complètement fous : l’échec du sommet du 21 juillet est lié au fait que les marchés n’ont pas eu ce qu’ils voulaient et qu’ils avaient pleinement conscience que cette rigueur excessive allait détruire toute perspective de retour sur investissement. Eux ne parlent pas de croissance, l’indicateur qui les intéresse est le retour sur investissement. Je ne vous invite pas à lire toutes les conclusions du Conseil européen, mais ce qu’elles disent sur les instruments de la relance, de la croissance, ce que Madame Merkel a pu qualifier de « super plan Marshall pour la Grèce »: je suis à peu près sure que Kosta n’a pas été impressionné par l’ampleur de cette générosité. Ce « super Plan Marshall » est la reprise d’une idée de la Commission européenne que dans le cadre de la Grèce, quand on  engage les fonds structurels, on demande moins de cofinancement à la Grèce, mais pas un sou de plus n’est apporté au pays.

On n’a pas le temps de rentrer dans le détail des mécanismes, mais cette espèce de pensée unique qui s’élabore aujourd’hui entre Bruxelles et Francfort est une pensée unique dans laquelle nous ne pouvons pas nous reconnaître.

En tant que socialistes responsables, nous ne sommes pas des avocats de la dette. Bien sûr, nous connaissons l’argument que la dette est un impôt sur les générations futures. Mais nous nous souvenons aussi de ce que nous a appris Jacques Delors: l’investissement de long terme doit pouvoir être financé par la dette. Pour nous, l’effort de rigueur,  Le retour sur investissement doit être partagé: moitié pour le remboursement de la dette, moitié pour l’investissement. Mais pas n’importe quel investissement: ne soyons pas naïfs et ne faisons pas le jeu de nos adversaires quand nous plaidons pour la croissance sans qualifier la croissance, quand nous plaidons pour l’investissement sans qualifier l’investissement, nous applaudissions  aux mots d’ordre du Medef et du CAC 40.

Que veulent-ils? ils veulent pouvoir investir, mais sans contrôle, sans contrepartie, exactement de la même manière que les banques ont  obtenu qu’on les sauve grâce à la garantie et à leur recapitalisation en septembre 2008 sans aucune condition: vous allez voir votre banquier, il vous fixe des agios, il vous demande de nombreux documents pour vous prêter 1,50€  alors qu’on leur a prêtés sans contrepartie; quand on aide les banques il faut fixer nos conditions qui ne doivent pas  favoriser ce que certains appellent « l’industrie financière »: vous avez déjà vu une industrie dans la finance?

Non seulement la finance est un service, mais notre objectif est de refaire de la finance un service. Nous devons exiger que notre soutien à l’investissement soit un investissement de long-terme, bien évidemment écologiquement responsable, compatible avec nos objectifs en termes d’indépendance énergétique, de contribution à la lutte contre le réchauffement climatique avec une redistribution juste derrière, sinon la croissance ne sert à rien. La seule raison pour laquelle les socialistes peuvent éventuellement plaider en faveur de la croissance, c’est pour pouvoir redistribuer.

Nous voyons bien le piège dans lequel nous sommes tombés: nous avons accepté de parler de croissance en la dissociant de la question de la redistribution. Or çà ne vient jamais naturellement ensemble. Et si on ne fixe pas les conditions au préalable, on n’obtient jamais l’effet de levier que l’on souhaite enclencher. Donc la question fiscale est absolument essentielle.

Dans la dynamique de l’investissement, nous devons poser la question de l’emploi – et c’est une proposition que je porte depuis longtemps au Parlement européen – le Traité de Lisbonne dit que toute politique de l’Union européenne doit être évaluée au regard de son impact sur l’emploi et les politiques sociales, ce qu’on a appelé la clause sociale horizontale.

Je demande une chose simple: que cet article 9 du Traité de Lisbonne s’applique aux banques, aux investisseurs et que lorsqu’il y a un arbitrage qui est fait, il y ait une transparence sur le nombre d’emplois détruits et le nombre d’emplois créés au regard de cet investissement. C’est très important, y compris lorsqu’on ira sur la stratégie d’investissements de long terme que nous voulons soutenir notamment dans le secteur de l’énergie, car ce secteur de l’énergie peut être un secteur très capitalistique avec un faible retour en termes de créations d’emplois, notamment les emplois de qualité.

Stratégie d’investissements, solidarité à travers des outils permettant la redistribution.

Je mentionnerai 2 outils qui sont absolument essentiels parce qu’ils ont des effets multiples:

Le premier, c’est bien sûr la taxation des transactions financières. Un certain nombre d’entre vous le savent, la première fois que le Parlement européen a voté en faveur de cette taxation c’est dans le cadre du rapport liminaire sur la crise économique, sociale et financière que nous avons adopté en octobre 2010.

Le premier mérite de la taxe sur les transactions financières, c’est que tous ceux qui sont responsables de cette crise n’en veulent pas. C’est donc qu’elle dérange beaucoup, car elle tue le mécanisme spéculatif qui a contribué à la financiarisation excessive de l’économie.

Il y a eu des débats sur le taux optimal de cette taxe. Pierre-Alain Muet a travaillé aussi à l’Assemblée nationale en écho à ces propositions et a regardé çà de très près: le taux de 0,05% que nous proposons est le bon taux pour tacler les investissements spéculatifs et pas le mouvement actions et obligations dont on a besoin pour financer une partie de nos économies.

Deuxième dimension fiscale importante, c’est évidemment l’impôt sur les sociétés. Pour nous socialistes, c’est une affaire terrible qui s’annonce devant nous. Nous avons depuis longtemps pensé que l’Europe serait progressiste quand il y aurait l’harmonisation fiscale, quand les conditions du dumping fiscal auront été réduites.

Or à ce titre là nous avons longtemps plaidé pour une harmonisation des bases fiscales de l’impôt sur les sociétés. Je note que certains candidats plaident pour une modulation de l’impôt sur les sociétés plutôt que de favoriser les allègements de charges sociales, dont le patronat ne donne jamais aucun retour sur investissement, cette modulation permettrait de stimuler l’investissement par les petites et moyennes entreprises. C’est une vraie proposition utile.

Mais le texte qui est aujourd’hui sur la table à l’échelle européenne, quand je l’ai vu arriver, j’ai cru être devant  l’enfer: c’est la chose sur laquelle nous nous étions battus et mobilisés durant tant d’années, et le texte qui est là est un texte sur mesure pour les multinationales d’optimisation fiscale.

Ce n’est pas une raison pour y renoncer, mais c’est une raison pour continuer le combat.

Le deuxième sujet, c’est celui de l’Europe sociale. Nous sommes tous mobilisés sur la directive Bolkestein, ce qui est en train de se jouer c’est la directive Bolkestein non pas pour le plombier polonais mais pour le soudeur Coréen. Ce qui est mauvais pour eux et ce qui est mauvais pour nous. Je n’ai pas le temps de développer, mais  le jour ou l’Europe est progressiste, c’est le jour où on s’attelle vraiment à cette question là.

Troisième et dernier thème que je souhaite mentionner, à titre de référence, car je n’ai malheureusement pas le temps de développer, c’est celui de la démocratie. Quand vous rencontrer Jean-Claude Trichet que vous êtes à coté de lui dans un colloque, immédiatement il sort un petit papier et écrit les niveaux de dépenses publiques par les Etats membres et il vous pointe en premier la France avec son niveau de la dépense publique. il se trouve que la France ne lui a pas encore donné l’opportunité de dire ce qu’il en pensait mais il a utilisé à titres d’exemple l’Italie à travers une lettre. Je n’ai pas lu la lettre que la femme de Tomasso Padoa Schioppa, grand économiste italien, a demandé à connaître. Pour l’instant on n’a que quelques informations éparses sur son contenu. Mais dans cette lettre, Jean-Claude Trichet dit à l’Italie ce qu’il faut privatiser, comment il faut réformer le marché du travail et comment couper la dépense publique. Je me réjouis que la Banque Centrale européenne soit intervenue pour soutenir l’Italie. Mais peut-on en démocratie accepter l’arbitrage de la dépense publique par la Banque Centrale? Je ne crois pas que ce soit compatible avec son indépendance et que ce soit compatible avec la démocratie. C’est une affaire grave. Et au nom de la crise, on nous parlerait de gouvernance économique, et on oublie la question de la démocratie. Nous ne pouvons pas laisser faire ce hold-up des marchés. Aujourd’hui les marchés attaquent la démocratie et comme nous l’a un jour  excellemment dit G. Papandréou en Grèce, le moteur de la construction européenne au lendemain de la seconde guerre mondiale était la paix, le moteur de l’Europe au lendemain de cette crise mondiale du capitalisme et du libéralisme ce doit être l’humanisme, la place de la personne, la place de l’être face à l’économie. Et donc derrière cet enjeu, c’est la capacité de maîtriser le processus démocratique.

Cette démocratie, l’Europe doit la défendre parce que les marchés l’attaquent.

C’est son mandat et c’est là son avenir.»