2010 était l’année européenne de lutte contre l’exclusion. A cette occasion, l’Union européenne avait décidé qu’à l’horizon 2015, la question des sans-abri devrait être réglée. Avant de diminuer la pauvreté de 25% d’ici 2020.
Inlassablement, l’UE égraine ses objectifs. Mais ils ne suffisent pas à édifier une action politique à la hauteur de la misère des sans-logis. Selon la Fédération européenne pour les sans-abri (Feantsa), « le nombre de personnes en famille hébergées par le 115 de Paris a augmenté de près de 400% entre 1999 et 2009. Parallèlement, la durée annuelle moyenne de séjour est passée de 18 à 130 jours ». Et à en croire l’association Caritas, 3 millions d’Européens seraient sans-toit.
Un chiffre à prendre avec des pincettes puisque la notion de sans-abri est entendue différemment selon les pays : le Royaume-Uni a adopté une définition légale dès 1977 et a même étendu le statut de sans-domicile aux femmes victimes de violences conjugales. La France a au contraire opté pour une approche statistique essentiellement axée sur l’absence de logement ou son caractère inadéquat.
Bilan décourageant
Très médiatisé dans l’Hexagone, le phénomène des sans-abri peine à trouver une réponse efficace à Bruxelles. Cinq ans après les premières actions menées par le Parlement européen, le bilan a de quoi décourager. L’Union européenne ne se donne pas les moyens de ses ambitions. Pis, elle tergiverse encore sur les mots.
« Politiquement, c’est engageant de se mettre d’accord sur les chiffres et la définition des sans-abri. Faut-il inclure les locataires qui sont en danger d’expulsion ? Une fois la décision prise, on va vous demander de caler votre politique sociale sur cette définition », explique François Cariou, chargé des affaires européennes à la Fédération des associations pour la promotion et l’insertion par le logement.
Modèle finlandais
Il est alors plus rassurant, et aussi moins contraignant, de s’en remettre aux « bonnes pratiques ». Désormais, la France dit s’inspirer du modèle finlandais qui, depuis une vingtaine d’années, mise sur le relogement pérenne de la personne avant d’assurer son suivi médical, psychologique, sa réinsertion professionnelle etc.
Ce virage vers le « logement d’abord » s’est traduit par une baisse de 16% du financement des hébergements d’urgence par l’Etat. Une situation assumée par le gouvernement français. Selon le ministre du Logement, la priorité est de renforcer l’adéquation entre l’offre et la demande d’hébergements temporaires. Un système d’information amélioré, visant à faciliter le travail du Samu social pour identifier les foyers ou chambres d’hôtel disponibles, a été mis en place. Selon Benoist Apparu, augmenter le nombre d’hébergements d’urgence n’est donc pas nécessaire.
Faire sauter les verrous politiques
« Faux », rétorque Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation Abbé Pierre. « Il manque 13 000 places d’hébergement d’urgence en Ile-de-France et le gouvernement n’a toujours pas pris les orientations politiques pour développer l’offre de logement à prix accessible. Un des étages de la fusée du ‘logement d’abord’ ne fonctionne pas », dénonce-t-il.
Le 13 septembre, Christophe Robert sera à Strasbourg aux côtés d’eurodéputés décidés à faire sauter les verrous juridiques et politiques qui empêchent l’Europe d’aborder le logement autrement que par le contrôle des aides d’Etat ou l’ouverture à la concurrence du livret A. « Il faut réveiller les consciences sur un phénomène qui existe partout en Europe et arrêter de faire des slogans de communication sur le logement d’abord, alors que la baisse des places d’hébergement en France condamne à l’errance les plus fragiles de nos concitoyens », lance Karima Delli.
Avec Pervenche Berès (S&D), cette eurodéputée socialiste est aux avant-postes pour remettre la question des sans-abri à l’agenda européen. Lors de la prochaine séance plénière, les deux élues comptent faire adopter une résolution afin de ressusciter une feuille de route élaborée en 2010. A l’époque, des travaux présentés pendant une conférence européenne convoquée sous présidence belge avaient posé les jalons d’une politique commune pour les sans-domicile : une typologie assez large de l’exclusion liée au logement, un financement via les fonds structurels européens, l’arrêt du recours à l’hébergement d’urgence comme réponse principale à la privation de logement etc.
Impact de l’immigration ?
Les députées européennes souhaitent aussi connaître l’impact de l’immigration sur le profil des sans-logis. Un sujet très actuel, selon François Cariou : « Le phénomène du ‘sans-abrisme’ se nourrit en partie du sort fait aux migrants. Comme on crée des sans-papiers, on crée des sans-abri », décline-t-il. Revendicative, la prochaine plénière promet d’être animée puisque banderoles et posters devraient s’inviter dans les rangs de l’hémicycle.
Mais le risque d’en rester aux promesses est bel et bien présent : « L’avantage, si la Commission décide de lancer un financement, c’est qu’elle donnera l’impression de s’attaquer à un problème visible. Mais il s’agira plus d’une action pilote que d’un véritable fonds et il ne faut vraiment pas s’attendre à autre chose qu’à du saupoudrage », prédit sombrement Claire Roumet, secrétaire générale du Comité européen de l’habitat social.