Pacte de stabilité, une réforme pour la forme ?

L’Agefi hebdo
22 septembre 2011

Nous sommes en 2016. Le ministre français de l’Economie rejoint Bruxelles le coeur léger pour le premier Conseil Ecofin de l’année. Depuis 2013, le déficit public français a été maintenu en dessous de 3 % du PIB par an. Au prix de douloureux choix budgétaires, Paris appartient désormais au club des bons élèves. Et là, patatras ! Au lieu d’entendre des louanges, le ministre découvre que la Commission européenne songe à ouvrir une nouvelle procédure en déficit excessif à l’encontre de la France. La raison ? La réduction de la dette publique au cours des trois dernières années n’a pas été assez rapide. Bruxelles reproche au gouvernement de ne pas lui avoir affecté les recettes de la nouvelle vague de privatisations entreprise après 2012. Si Bruxelles confirme son analyse, le ministre risque, lors du prochain Ecofin, de repartir avec une mise en demeure, une retenue de quelques millions d’euros à la clé et l’obligation d’accélérer l’amortissement des dettes.

Ce scénario ne sera plus tout à fait invraisemblable à partir de la semaine prochaine si, comme prévu, le Parlement européen adopte la réforme du Pacte de stabilité et de croissance lancée il y a un an. A l’époque, le constat des dysfonctionnements du Pacte et de ses limites est fait depuis longtemps. La crise grecque convainc le président de la Commission de passer à l’action. Sous étroite surveillance de Paris et Berlin, José Manuel Barroso met sur la table à l’automne un paquet de six textes bientôt rebaptisé « six pack ». L’idée, soutenue par le président du Conseil européen Herman van Rompuy, est d’approfondir et d’élargir à la fois le Pacte existant.
Un nouveau volet macroéconomique lui est ajouté. L’objectif est de surveiller, et si possible corriger, le creusement des écarts de compétitivité et les « divergences » qui se sont approfondies en une décennie entre les membres de la zone : décrochage grec en termes de compétitivité, les bulles immobilières espagnole et irlandaise.

Majorité inversée

Le volet budgétaire est, lui, en quelque sorte « armé ». Par le passé, la Commission devait réunir une majorité qualifiée de pays pour pouvoir faire pression sur un pays pour qu’il suive ses recommandations ou pour lui infliger une sanction. Le blocage des décisions au moyen d’une minorité était assez facile. C’est ce que le sénateur Jean Arthuis a appelé le « pacte de tricheurs et de menteurs ». A l’avenir, il faudra réunir une majorité contre les demandes de sanction et les recommandations de la Commission pour les bloquer. Les masques vont devoir tomber, espèrent les parlementaires.

De surcroît, cette règle dite de majorité inversée s’applique non seulement en cas de déficit ou d’endettement excessifs mais également si la trajectoire budgétaire est jugée dangereuse, même avec déficit sous la barre de 3 %. La France s’est longtemps opposée à l’idée de laisser à la Commission la faculté de demander des sanctions au stade dit « préventif ». Un accord a finalement été trouvé le 6 septembre dans la soirée au terme d’un long ballet diplomatico-politique entre l’ambassadeur de la Pologne à Bruxelles, le président du groupe PPE (Parti populaire européen) au Parlement, Joseph Daul, et son bras droit pour les questions économiques, l’eurodéputé Jean-Paul Gauzès, sa consoeur néerlandaise en charge du sujet au Parlement Corien Wortmann-Kool, le secrétaire général aux Affaires européennes Gilles Briatta et le président du groupe libéral, le Belge Guy Verhofstadt.

Avec cette réforme, « on arrête enfin de jouer au plus malin avec les règles », explique l’eurodéputé libérale (groupe ALDE) Sylvie Goulard. Et de rappeler que « en douze ans, la France a systématiquement surestimé ses prévisions de croissance et sous-estimé ses dépenses ». Pour Laurent Berrebi, chef économiste chez Groupama AM, cette réforme va « dans le bon sens ». Elle participe d’une transformation plus profonde du fonctionnement de la zone euro. « Le triangle des Bermudes consistant à ne pas parler de défaut [d’un pays], à ne pas faire de coordination des politiques économiques et à ne jamais infliger de sanction est en train de voler en éclats », estime-t-il.

Quand le premier cycle des réformes de la gouvernance lancé en 2010 sera achevé, le cadre des politiques budgétaires nationales devrait avoir vraiment changé. A la surveillance a posteriori s’ajoute celle des projets de budget avec le « semestre européen », qui doit bientôt être lui aussi intégré dans la législation. La planification et l’exécution du budget devront être cohérentes avec l’examen annuel de croissance réalisé en début d’année par la Commission européenne. Au niveau national, les « programmes budgétaires pluriannuels devront être conformes aux programmes de stabilité et de croissance » mis au point avec Bruxelles, explique le sénateur Jean Arthuis.

Etape transitoire

Sauf surprise, le « six pack » devrait être voté le 28 septembre par le Parlement à Strasbourg, grece à une majorité libérale et de centre-droit. Fait rare pour une réforme de cette ampleur, la gauche votera probablement contre cinq des six textes. L’eurodéputée PS Pervenche Berès critique l’« approche bureaucratique » retenue qui laisse place aux habituels marchandages politiques entre les Etats membres et Bruxelles. « On transpose sur le volet préventif du Pacte une logique d’objectifs chiffrés qui n’a pas marché dans le Pacte tel qu’il a existé jusqu’à présent », regrette-t-elle. Cette focalisation sur les règles et les procédures, traduit, selon elle, le manque d’assurance et de légitimité de la Commission.

Au moment où la zone euro traverse de nouvelles turbulences, les discussions entre diplomates et parlementaires ces dernières semaines ont pu sembler byzantines, voire dérisoires. « Dans ce climat dramatique, le ‘six pack’ ne pèse pas très lourd, admet Sylvie Goulard. C’est un point d’équilibre par temps calme. » Pour Laurent Berrebi, cette réforme « est certes à mille lieux de ce que désirent aujourd’hui les investisseurs qui veulent une solution au problème de la Grèce. Il faut la voir comme une étape transitoire vers des réformes institutionnelles plus profondes ».

En attendant, des critiques fondamentales pointent quant à l’approche retenue par la Commission pour assurer la convergence économique dans la zone euro. Pour l’économiste Paul de Grauwe, de l’université catholique de Louvain, la cause première de la crise de la dette souveraine « a peu à voir avec la mauvaise performance du Pacte de stabilité ». Elle vient « de l’accumulation de dette non soutenable dans le secteur privé ». Et de souligner que le taux d’endettement des ménages est passé d’un peu plus de 50 % à 70 % du PIB entre 1999 et 2008 et les passifs bancaires de 190 % à 250 % du PIB, tandis que le stock des dettes publiques baissait de 10 points de PIB (voir le graphique page 17). A ses yeux, les moyens proposés pour juguler les divergences économiques sont inadéquats. « La clé, dit-il, pour le contrôle des divergences macroéconomiques nationales réside dans le contrôle des mouvements de crédit au niveau national. » Et de plaider pour un rôle accru des autorités monétaires, notamment la Banque centrale européenne, dans le domaine.
« La perte de la compétitivité mesurée à la périphérie de l’Europe au cours de la décennie passée ne doit pas être imputée à un manque de réformes structurelles ou à l’irresponsabilité des syndicats mais plutôt au boom de la demande domestique alimentée par le crédit bon marché », écrivent de leur côté Daniel Gros et Cinzia Alcidi, deux économistes du Center for European Policy Studies.

Les réformes en cours, en donnant plus de pouvoir à la Commission, vont aussi l’obliger à assumer ses partis pris d’analyse économique, elle qui déteste tant être taxée de faire de la politique. Ce qui ne manquera pas de ramener les gouvernements et les citoyens européens à la question de la légitimité de leurs institutions européennes et alimentera le débat renaissant sur les réformes institutionnelles.

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