Pervenche Berès est eurodéputée socialiste, membre de la commission Emploi et Affaires sociales. Elle est également rapporteuse spéciale auprès du Parlement sur la crise économique et financière. Alors que les Etats membres de la zone euro pourraient s’accorder sur une aide à la Grèce, elle revient sur les avantages d’un gouvernement économique de l’Union, et nous donne ses impressions sur la proposition de Stratégie 2020 présentée le 3 mars par le Président Barroso.
Touteleurope.fr : Que pensez-vous de la création d’un Fonds monétaire européen ?
P.B. : Je voudrais rappeler que j’ai commencé à évoquer cette question en octobre 2008 lorsque l’on s’est servi pour la première fois de la facilité des balances de paiement pour les pays hors zone euro, et on voyait bien à l’époque que si un problème arrivait dans la zone euro on serait bien démunis.
J’ai à plusieurs reprises évoqué le sujet avec Joaquín Almunia, à l’époque commissaire aux Affaires économiques et monétaires, et toute la philosophie était alors de dire qu’il ne fallait pas anticiper les difficultés qui risquaient de se présenter pour ne pas être dans des prophéties auto-réalisatrices vis-à-vis des marchés.
Le résultat c’est qu’on est aujourd’hui dans une situation de crise donc à mon sens dans les pires conditions pour avoir un débat serein puisque l’on voit que le raisonnement logique et l’exploration des pistes sont brouillés par les réactions des opinions publiques qui sont prises au dépourvu.
Je pense que par exemple en Allemagne le débat serait moins difficile si il y avait eu une anticipation de mécanismes européens qui apparaissent aujourd’hui comme une évidence mais qui, parce qu’ils sont pris dans l’urgence au moment où la Grèce est en difficulté, apparaissent comme une aide à ceux qui ont triché avec leurs chiffres.
Sur le Fonds monétaire européen, c’est une idée sur laquelle je pense qu’on a perdu un an. J’observe que le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble a relancé la proposition.
Il faut tout de même se souvenir que M. Schäuble est celui qui, avec M. Lamers en 1994, avait fait des propositions intéressantes en terme de gouvernement économique à un moment où le Premier ministre en France était Edouard Balladur et personne, ni même les socialistes de l’opposition, n’avait réagi au motif que des pays comme l’Italie ou l’Espagne ne pourraient pas faire partie des premiers membres de la zone euro.
Ce blocage a gelé toute capacité à réfléchir ensemble intelligemment aux questions de gouvernance économique. Ce que j’espère c’est qu’aujourd’hui on n’ait pas à Paris la même frilosité pour débattre sur une base qui ne sera pas forcément celle que le gouvernement en place en France aurait voulue.
Mais on ne peut pas à la fois dire que l’on veut un gouvernement économique et ne pas traiter les propositions lorsqu’elles se présentent. Il faut y répondre et, si on est pas d’accord avec ces propositions, en proposer d’autres.
Il y a actuellement une fenêtre d’opportunité pour traiter la question de la gouvernance économique, que tout responsable politique en France appelle de ses voeux depuis Pierre Bérégovoy. Il faut la saisir.
Mais derrière il faut répondre à la question de savoir ce qu’est un gouvernement économique. Ainsi la proposition d’Edouard Balladur d’avoir une validation par l’Eurogroupe du budget national avant toute présentation devant les parlements nationaux peut être intéressant du point de vue du débat entre les ministres européens des Finances, mais d’un point de vue démocratique, cela pose un problème majeur.
Touteleurope.fr : Quel serait le rôle du Fonds monétaire européen ?
P.B. : Si on évoque la création du FME c’est qu’on imagine que si, lorsqu’un pays est en difficulté, on fait appelle au FMI cela veut vraiment dire qu’on a pas de gouvernance interne. Le FMI n’est jamais intervenu aux Etats-Unis parce que qu’il y a des éléments de contrats cycliques internes qui ont permis à l’intérieur de cet ensemble que sont les Etats-Unis de trouver des équilibres.
On ne peut pas au sein de l’Union européenne à la fois dire qu’il faut un gouvernement économique et dire que lorsqu’il y a un problème on sollicite le FMI.
C’est sur ce point qu’il faut vraiment négocier la proposition de création d’un FME, afin qu’il n’y ait pas d’interprétation répressive de cet instrument qui en ferait une aggravation du Pacte de stabilité. De plus ce projet peut représenter un levier pour qu’il y ait un vrai débat sur ce qu’est la coordination des politiques économiques.
Touteleurope.fr : Le Président de la Commission européenne José Manuel Barroso a présenté le 3 mars sa proposition pour une ‘nouvelle stratégie économique pour l’Europe’ d’ici 2020. Que pensez-vous de ce texte ?
Pervenche Berès : A l’échelle européenne, alors que nous sommes dans une crise grave que certains appellent le ‘grand crack’, on a l’impression que l’on critique tous ceux qui, notamment dans les marchés financiers, voudraient que tout continue comme avant.
Et à la lecture de cette Stratégie 2020 c’est honnêtement l’impression qu’on a. On est passé dans l’intitulé d’une unité de lieu à une unité de temps, mais il n’est pas certain que cela donne beaucoup plus de visibilité vis-à-vis du citoyen. Et surtout, cette stratégie nous est proposée comme si rien ne s’était passé.
En premier lieu on ne tire pas les leçons de l’échec de la stratégie précédente, et il faut avoir le courage de tirer le bilan des expériences passées.
Or le bilan de la Stratégie de Lisbonne est mauvais, même sans la crise, puisqu’en 2005 on avait éprouvé le besoin de réviser cette stratégie, en la déséquilibrant d’ailleurs complétement : alors qu’elle reposait sur un triptyque développement durable/ plein emploi/ compétitivité, on a renversé le triangle pour mettre la compétitivité en haut au risque d’aggraver les inégalités sociales, qui sont à l’origine de la crise.
En second lieu on ne tire pas les leçons de la crise elle-même. Et cette stratégie telle qu’elle est aujourd’hui sur la table est le reflet de la majorité, conduite par José Manuel Barroso et qui regroupe les chefs d’Etat et de gouvernement et la majorité du Parlement, au sein de laquelle il y a eu des discussions, des tensions, dont il résulte un affichage sur des objectifs qui peuvent être intéressants.
Mais fondamentalement cette stratégie ne dit pas comment l’Union européenne va convaincre à nouveau les citoyens européens qu’une stratégie européenne peut être pour eux une voie de sortie de la crise, d’espoir, ni quels moyens l’Union se donne pour mettre en oeuvre cette stratégie. Or l’Europe est en train de mourir de cela, d’objectifs arrêtés sans que les moyens soient donnés.
Touteleurope.fr : Est-il sensé de faire une stratégie sur dix ans, avec des objectifs à atteindre d’ici 2020 ?
P.B. : C’est un non-sens ! Certes il faut avoir une visibilité, tout chef d’ entreprise a besoin d’un tableau de bord et tout responsable politique aussi. Mais c’est le principal reproche que je fais à ce document : on se projette en 2020 comme s’il n’y avait pas une urgence qui, avec ou sans la Grèce, nous oblige à regarder comment on sort de la crise !
Touteleurope.fr : Que pensez-vous du volet social de la proposition de Stratégie 2020 ?
P.B. : Sur ce point le commissaire Lazlo Andor a démontré toute sa capacité d’influence intelletuelle au sein du Collège puisqu’il s’est beaucoup battu pour ces éléments.
Il est vrai que dans l’affichage, si vous faites le compte du nombre d’objectifs ou d’initiatives phares, il y en a un certain nombre qui renvoient à la question sociale. Cependant s’il n’y a pas de moyens de mise en oeuvre de ces éléments là, on ira pas très loin.
Et de ce point de vu il y a deux éléments qui me frappent : premièrement on ne peut pas évoquer un objectif de réduction de la pauvreté (seuil que de nombreux eurodéputés de la commission Emploi et Affaires sociales trouvent d’ailleurs trop peu ambitieux) et ne pas évoquer deux questions structurantes que sont celles du revenu minimum et celle de la réalité de l’accès aux droits, parce que beaucoup de droits sont définis (droit à une couverture maladie, droit à une retraite etc.) mais la réalité de l’accès à ces droits est bien différente.
Et puis il y a une deuxième difficulté dans le chiffrage des objectifs tels qu’ils sont fixés dans la proposition de la Commission. Il faut savoir que les chiffres dont on parle reposent sur des données collectées en 2007, ce qui est très significatif de la façon dont l’Union traite ces questions et organise ses priorités.
Il n’y a pas de bon pilotage sans bonne connaissance du terrain. Or travailler sur des chiffres de 2007 c’est travailler sur des données qui ne tiennent pas compte de l’impact de la crise.
Enfin, il n’y a quasiment rien en matière d’harmonisation fiscale et tout le travail qui a été engagé et sur lequel Mario Monti a été amené à réfléchir dans la relance de ces questions est passé sous silence. Certes c’est un texte court, mais les 5 lettres qui renvoient dans le jargon communautaire à l’harmonisation de la base de l’impôt sur les sociétés, CCCTB, ne sont pas mentionnées.
Touteleurope.fr : Quel rôle va jouer désormais le Parlement européen dans l’adoption de cette proposition ?
P.B. : L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne a perturbé l’installation de la nouvelle Commission et on ne peut pas retirer à l’Espagne le plaisir de voir la Stratégie 2020 adoptée sous sa présidence. Cependant je pense que l’on aurait pu anticiper les choses.
Au sein du groupe socialiste nous avions proposé dès octobre, et aujourd’hui c’est un peu tard pour changer les choses, qu’il y ait un décalage qui permette de plus discuter, peut-être en repoussant un peu la date du Conseil européen qui va s’exprimer sur cette stratégie, pour que le Parlement puisse s’organiser avant ce Conseil.
Une résolution a été votée par le Parlement hier mais ne peut pas être considérée comme une analyse fouillée, il s’agit plus d’un document d’humeur.
Mais je constate que l’on va adopter cette Stratégie 2020 alors même que le projet de José Manuel Barroso est tout sauf un document de négociations, alors même qu’il a fait sa campagne pour sa réélection en prônant le partenariat privilégié avec le Parlement.
Or, quelque soit le monopole d’initiative de la Commission, on pourrait imaginer qu’un document qui nous engage sur 10 ans pourrait au moins faire l’objet d’une négociation.
D’autant plus que ce document est mis sur la table alors même que le Conseil a confié une mission de prospection à l’ancien président Felipe Gonzales et que M. Barroso de son côté a également confié une mission à Mario Monti dont les résultats, me semble-t-il, devraient être intégrés dans cette stratégie 2020.
Donc que je ne peux pas considérer que ce document soit un document final. De notre côté au Parlement européen l’essentiel de la réponse sera le rapport dont j’ai la charge et qui sera voté en session en septembre.