Quand Bruxelles attendait Berlin et oubliait Athènes

RTBF

Jeudi 17 novembre 2011

 

Pervenche Bérès

Pour Pervenche Bérès, députée socialiste au Parlement européen, la crise ne pourra être résolue que si l’Union change de méthodes. Qu’elle tourne le dos aux solutions libérales imposées par le couple franco-allemand pour retrouver la voie d’un véritable échange démocratique.

La politique des sommets

Depuis plus d’un an, les sommets « historiques » se sont succédé pour apporter une réponse globale à la crise de gouvernance de la zone euro qui s’est manifesté par une crise de la dette souveraine.

Durant cette période, le « trop peu, trop tard » est devenu la marque déposée du Conseil et singulièrement du couple franco-allemand. Elle résulte, outre des aléas de calendrier de politique intérieure, de la conviction de la chancelière allemande qu’un Etat, à commencer par la Grèce, ne doit pas être soutenu avant d’éprouver la douleur de la sanction. À Berlin, pour la Chancelière Merkel, la zone euro doit fonctionner comme un espace où ceux qui fautent sont punis et où chacun garde sa maison en ordre; c’est le sens de son plaidoyer en faveur d’une Union de stabilité.

À Paris, le Président Sarkozy, plombé par sa gestion des finances publiques au service de son seul électorat et soucieux de coller à l’image de sérieux de l’Allemagne, est incapable de sortir de ses contradictions sur le gouvernement économique qui ne peut pas se limiter au renforcement de la discipline du Pacte de stabilité. Ainsi, le gouvernement français est opposé à l’émission d’euro-obligations permettant la mutualisation de la dette considérant que le trésor français gère mieux la dette française que ne le ferait un trésor européen. Jusqu’à quand ? Comme d’autres, il dénonce le pouvoir des agences de notation de crédit et n’agit que pour passer à travers leurs fourches caudines.

L’inexistence de la Commission dont le président a été choisi, comme le président du Conseil européen, par les mêmes chefs d’Etat et de gouvernement pour être leur secrétaire général, et auquel ils ne peuvent en conséquence transférer de réel pouvoir, parachève le tableau.

La victoire absolue du libéralisme

Pourtant, le sommet du 21 juillet dernier, s’il n’avait pas réussi à calmer les marchés, avait au moins eu le mérite de démontrer que l’Allemagne ne laisserait pas tomber l’euro dont elle est la grande bénéficiaire. Dans ce contexte, la question globale des gagnants et des perdants de l’euro aurait du être posée, elle aurait pu fonder le socle d’un nouveau paradigme européen, d’une Union politique et de transfert et non d’un transfert à Bruxelles ou Francfort du consensus de Washington.

Comme voie de sortie, le couple Merkel-Sarkozy propose une cure d’austérité et de rigueur qui ne calme pas les marchés puisqu’elle ouvre le risque d’une récession et leur interdit toute perspective d’investissement rentable dans la zone. Ils risquent ainsi de transformer une crise née des dérives du libéralisme en une victoire absolue du libéralisme, c’est à dire à la destruction des moyens d’intervention de la puissance publique et de la protection sociale.

Bien sûr ceux qui payent ont le droit de dire ce qu’ils pensent mais, en démocratie, ils ne peuvent le faire seuls et ceux qui gagnent doivent aussi rendre des comptes. Pourquoi ne reconnaît-on pas qu’aujourd’hui celui qui paye c’est le contribuable allemand mais aussi le peuple grec. Le premier ne peut pas être le seul consulté.

Pas de gouvernement économique sans parlement économique

Lors du conseil européen du 26 octobre 2011, les dirigeants européens ont pris des mesures qui devaient calmer des marchés qui n’avaient pas été convaincus par les conclusions du sommet du 21 juillet. Pour autant, il est frappant de voir que plutôt que de permettre l’intervention de la BCE à travers la transformation du Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) en établissement bancaire pour racheter de la dette sur le marché primaire, la zone euro préfère faire appel à l’épargne chinoise qui pourrait dans un avenir proche s’accompagner d’une demande de soutien au statut d’économie de marché, sans parler des positions que Pékin pourrait prendre sur des dossiers aussi divers que l’évolution du régime syrien ou la question du dumping social exercé par les entreprises chinoises intervenant en Europe.
Cela est d’autant plus frappant, qu’outre la monétisation de la dette à travers l’action de la BCE sur le marché primaire, il eût été possible d’avoir recours à un mécanisme plus multilatéral grâce à l’intervention plus importante du FMI comme le laissait penser certaine discussion en cours dans les semaines précédent le sommet.
L’incurie du directoire franco-allemand dont l’agenda politique est désormais dicté par les prochaines échéances électorales nationales fait courir le risque d’une brusque implosion de la zone. L’approche intergouvernementaliste fait sciemment l’impasse sur la légitimité démocratique des décisions engageant l’avenir de centaines de millions européens, et ce malgré l’échec patent et répété des sommets « historiques » et des rencontres « de la dernière chance ». Il est temps pour Paris et Berlin de redécouvrir les vertus de la délibération collective des choix démocratiques.

Pervenche Bérès, députée socialiste française au Parlement européenPrésidente de la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen depuis juin 2009, Pervenche Bérès a aussi été rapporteur de la Commission spéciale crise. Elle est particulièrement active sur les questions touchant l’économie, les marchés financiers, et la fiscalité. Les  différentes interventions de Pervenche Bérès, dont celles dans le dictionnaire vidéo de la crise financière, sur notre site.