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Mardi 13 décembre 2011
Les décisions prises lors du sommet « historique » de vendredi risquent de plonger l’Europe dans une récession à la japonaise qui aura des conséquences dévastatrices sur le modèle social européen, écrit Pervenche Béres qui préside la commission emploi et affaires sociales au Parlement européen.
« Trois années se sont écoulées depuis la faillite de Lehman Brothers. Trois années de crise financière, trois années de crise économique mais aussi, il faut bien le reconnaître, trois années de crise sociale dont de nombreux Européens souffrent au quotidien.
Confrontés à une situation grave dont ils sont largement responsables, les dirigeants européens réunis à Bruxelles ont une fois encore revêtu leurs habits de gourous vendeurs de miracles. Leur ambition n’a malheureusement d’égale que l’ardeur avec laquelle ils prônent une religion de l’austérité sur la durée.
Force est en effet de constater que leur culte ne brille que par son inefficacité. Loin d’avoir les vertus escomptées, les potions soi-disant magiques qu’ils souhaitent administrer par voie intergouvernementale accentuent, sommet historique après sommet historique, le risque de voir l’Union sombrer dans une récession à la japonaise dont les retombées sociales seraient désastreuses. Plus grave encore, cette stratégie d’apprenti sorcier affaiblit le socle même du modèle social européen.
Le refus exprimé la semaine passée par certains Etats membres d’étendre jusqu’en 2013 les mesures de crise du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation est en ce sens symbolique de l’incohérence à laquelle mène le dogme de la rigueur. Supprimer l’une des seules dispositions prévues par l’Europe pour venir en aide aux travailleurs victimes de la crise, au moment même où les restructurations vont continuer, où les licenciements sévissent et où les perspectives de croissance – à en croire l’ensemble des prévisionnistes, y compris ceux de l’OCDE – seront lourdes de conséquences, constituerait un faux pas inacceptable.
Il y a urgence à trouver le bon équilibre entre la réduction des dettes souveraines, qui ne résultera pas de l’austérité, et la création d’emplois. Notre fil rouge c’est celui de la solidarité européenne qui en retour renforce chacun. Que la démarche soit claire : une telle entreprise ne requiert pas de changer de métier à tisser – le Traité en vigueur ne demande qu’à être mis en œuvre dans son intégralité – mais plutôt de redevenir les artisans d’une Europe unie où chacun ne considère pas l’autre comme un concurrent potentiel sur le marché du travail, mais comme un citoyen jouissant, par contraste avec des millions de Chinois, de l’excellence de droits sociaux conquis ensemble.
Dans cette perspective, la part du budget consacrée aux fonds structurels doit être accrue, et d’abord celle dédiée au Fonds social européen, qui s’est paradoxalement amoindrie au cours des dernières années. Sans moyens d’action, toute ambition de retour au plein emploi serait vaine. La stratégie Europe 2020 que les Etats membres ont eux-mêmes élaborée et adoptée serait ainsi vouée à l’échec.
A cet égard, assujettir l’octroi des fonds structurels au respect du Pacte de stabilité est un contresens. Les concepteurs d’une telle idée ne peuvent être qu’inconscients des réalités sociales auxquelles doivent faire face de plus en plus de citoyens vivant dans la menace de la pauvreté et de l’exclusion sociale.
Lors des débats qui se sont tenus dernièrement au sein de la Commission de l’emploi et des affaires sociales, plusieurs députés n’ont pas manqué de montrer pourquoi cette épée de Damoclès n’avait aucune raison d’être. Leur analyse rejoint entièrement celle des organisations de la société civile qui comptent sur le Parlement européen pour arracher le retrait de cette conditionnalité macroéconomique proposée par la Commission européenne et voulue par certains au Conseil.
Au-delà des enjeux liés aux négociations qui s’engagent sur la réforme des fonds structurels et sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020, il y a par ailleurs urgence à se pencher sur la notion de justice fiscale et à rééquilibrer la fiscalité du capital et du travail, notamment avec la mise en place de la taxation des transactions financières. Au sein d’une Europe à 27 où le taux de chômage frôle les 10%, nul ne doit ignorer que le manque d’harmonisation nuit à l’emploi et que la concurrence fiscale qu’autorise l’Union sape les fondements du financement des systèmes de protection sociale tout en entravant la lutte contre les inégalités.
Enfin, les problématiques de gouvernance européenne et donc de démocratie sont au cœur des discussions des dirigeants concernant la résolution de la crise. Cette question est essentielle, surtout quand l’actualité montre que certains refusent d’entendre les revendications des citoyens qu’ils représentent et préfèrent écouter les avis des experts de la finance enfermés dans leur tour d’ivoire.
Dans ce domaine, les structures issues du monde de l’économie sociale et solidaire devraient servir de source d’inspiration. Les mutuelles, dont le développement doit être soutenu, y compris grâce à l’adoption d’un statut européen, constituent un bon exemple. Dotées de véritables instances de décision démocratique et affranchies des contraintes imposées par les marchés financiers, elles ont jusqu’à présent fait preuve d’une capacité de résistance admirable face à la crise. La coïncidence n’est pas évidemment pas fortuite. »