Fabrice Lundy :
Crise, dette, régulation, règles budgétaires en Europe, on parle ce soir avec Pervenche Berès, Députée européenne, Présidente de la commission de l’Emploi et des Affaires sociales, rapporteure de la commission spéciale sur la Crise économique, financière et sociale, et membre suppléante de la commission des Affaires économiques et monétaires. Pervenche Berès, Berlin nous dit aujourd’hui qu’il nous faudra de nouvelles règles budgétaires et de nouveaux mécanismes de sanction en Europe, est-ce que c’est également un enseignement que vous tirez de la crise de la dette grecque qu’on a vécue et qu’on est encore en train de vivre?
Pervenche Berès :
La crise grecque est une crise très révélatrice, évidement personne ne pouvait souhaiter qu’elle arrive mais d’une certaine manière le déséquilibre de l’Union économique et monétaire, c’est-à-dire un déséquilibre entre une politique monétaire très intégrée entre les mains de la Banque Centrale et une politique économique légitimement intégrée au niveau des Etats membres mais non coordonnée à l’échelle européenne, cela pouvait conduire à ce risque de tension, et je crois que l’affaire grecque nous oblige à réfléchir à des questions que nous nous posons depuis la création de la zone euro mais sur lesquelles nous n’avons jamais été jusqu’au bout du raisonnement. Aujourd’hui ce n’est pas un gros mot de parler de gouvernement économique. Mais au fond, une chose dont je me rends compte, c’est que personne ne sait ce que l’on met dedans.
Et ce qu’il faut également constater, c’est que la règle absolue qui avait été définie comme étant le pacte de stabilité, en réalité n’a pas fonctionné : soit il n’a pas été appliqué, soit là où il a été mis en œuvre, ça n’a pas protégé les États d’une certaine forme de fragilité.
Donc la question du gouvernement économique reste posée. Mais j’entends bien aujourd’hui ceux qui disent que les règles définies n’étaient pas les bonnes et que nous allons en rajouter une couche, pardonnez-moi de l’expression.
Je crois qu’il faut réfléchir un tout petit peu plus loin que cela. Ce n’est pas en remettant une couche de la même matière que l’on va progresser véritablement en termes de gouvernance.
Fabrice Lundy :
Il y a une nécessité d’un gouvernant économique, cela est très clair.
Mais est-ce que le Parlement européen intègre aujourd’hui les leçons de la crise grecque dans ses réflexions sur la régulation de la spéculation, notamment sur le marché de la dette souveraine qui doit être un marché préservé, protégé?
Pervenche Berès :
L’affaire grecque éclaire d’un jour nouveau un débat qu’on avait lancé dès le mois de mai 2008, lorsque nous avions fait le premier bilan des dix ans de la zone euro.
La dette souveraine des Etats: est-ce normal qu’à travers la notation des dettes souveraines on puisse permettre aux mécanismes de marché, avec leur violence et leur caractère spéculatif, d’être réintroduits dans la zone euro? Je crois que personne n’y a intérêt. Et la chose importante qu’il faut que chaque Etat Membres de la zone euro ait en tête est que, bien sûr il ne faut pas d’aléas moral et de prime au mauvais élèves, mais l’idée que ce n’est pas ensemble que l’on résout les problèmes et qu’il faudrait qu’il y ait un face à face avec l’un des Etats membres qui est en difficulté n’est pas vraiment le meilleur moyen d’avancer.
Si on avait fait plus en matière de gouvernance avant cette crise, l’Europe serait mieux armée aujourd’hui pour gérer cette crise. Aujourd’hui gérons la le mieux possible en étant le plus européens possible.
Et de ce point de vue là si on a défini des règles sur ce que la Grèce va aujourd’hui faire, il faut aussi l’aider et en fonction de cela engager la vraie discussion pour l’avenir.
Fabrice Lundy :
C’est un discours adressé à l’Allemagne?
Pervenche Berès :
Oui entre autres.
Fabrice Lundy :
Mais justement sur la position allemande on a aujourd’hui l’impression, on sait qu’effectivement un éventuel mécanisme de soutien financier, et cela se voit encore à travers les rumeurs qui se multiplient sur des prêts ou des garanties à Athènes, on voit que tout ça dépendrait a priori de l’Allemagne, ça sera en tout cas le déclic, le moteur, la pierre angulaire d’un tel système.
Aujourd’hui est-ce que l’Allemagne est en position d’imposer, de dicter ses règles au reste de la zone euro?
Pervenche Berès :
On est dans cette situation parce qu’on n’a pas anticipé et géré ensemble, on se retrouve au pied du mur et du coup, y compris pour l’Allemagne c’est plus difficile de le faire que si on avait une règle a priori définie tous ensemble, où l’Allemagne aurait tranquillement, calmement pu dire ce qu’elle avait à dire.
Aujourd’hui au pied du mur l’Allemagne doit donner l’impression de venir au secours de la Grèce. Ce qui n’est pas tout à fait exact car au bout du compte c’est l’ensemble des pays de l’Union européenne qui viendra ou non au secours de la Grèce.
Mais y compris vis-à-vis de leur propre opinion publique, je crois qu’ils seraient beaucoup mieux armés si ils l’avaient éduquée et préparée à l’idée que puisque nous sommes dans la zone euro, il y a une discipline ou une gouvernance collective qui est mise en place. Et cela oblige également à savoir ce qu’est une politique de coordination économique.
Est-ce que l’on peut sans rien dire laisser tel ou tel Etat membre développer des politiques économiques non coopératives?
Ce sont des vraies questions qui sont en jeu.
Fabrice Lundy :
Deux points techniques encore, qui ne seront peut-être qu’un seul. Sur la transparence des comptes présentés par la Grèce, c’est le débat du moment, Athènes doit se justifier auprès de Bruxelles.
Est-ce que vous observez des manquements au niveau européen, je pense à Eurostat qui est censé valider ces chiffres qui lui sont présentés, ou bien est-ce que le problème vient de ces agences de notations, toujours?
Pervenche Berès :
Les deux mon capitaine, et je rajouterai un troisième élément.
S’agissant d’Eurostat, je me souviens que la dernière fois qu’on a fait une réforme d’Eurostat, nous au Parlement européen, nous avions voté une position dans laquelle nous demandions la possibilité pour Eurostat de vérifier sur pièce et sur place les données qui étaient transmises par les Etats membres et le Conseil a beaucoup résisté à cet élément.
Donc je pense qu’effectivement il y a encore les moyens d’améliorer la façon dont Eurostat collecte les informations.
S’agissant des agences de notations, ce que je constate c’est qu’elles sont relativement paresseuses dans la façon dont elles collectent les informations.
Fabrice Lundy :
C’est à dire qu’elles font foi aux ministres des finances.
Pervenche Berès :
On peut ne pas considérer que cela soit un travail d’expertise très sérieux.
C’est pour ça que j’ai proposé que l’on puisse avoir une évaluation publique de la dette publique en toute indépendance.
Il y a des Cours des Comptes indépendantes, c’est elles qui ont les données pour -me semble-t-il- pouvoir établir cette notation publique qui pourrait ensuite être collectée par la Cour des Comptes au niveau européen.
Fabrice Lundy :
Cette transparence des comptes et le maquillage des comptes présentés par la Grèce, est-ce que cela à révélé une pratique au niveau européen comme on l’entend aujourd’hui?
Finalement beaucoup d’Etats optimisent comme ça leur bilan financier avec des instruments complexes.
Pervenche Berès :
J’ai compris qu’Eurostat était chargé de vérifier comment tout cela c’était passé et je demande que l’on vérifie également les agissements d’un certains nombre de banques d’investissements, notamment américaines, qui ont été les acteurs principaux de ces agissements. Je souhaite que l’Union européenne regarde de très près dans quelles mesures elle ne peut pas utiliser l’arme de la politique de la concurrence pour regarder comment ces établissements fonctionnent, parce que ce sont des établissements qui ne sont pas supervisés en tant qu’établissements globaux à l’échelle européenne et dont on voit que les agissements sur la santé économique et financière des pays de la zone euro en particulier sont dramatiques.