L’Humanité

Vendredi 17 Février 2012

Table ronde

Comment être solidaire du peuple grec?

Pervenche Berès, députée (PS) européenne;

Pascal Canfin, député (Europe Écologie-les Verts) européen;

Francis Wurtz, député (GUE-GNL) honoraire du Parlement européen.

 

Les mesures d’austérité imposées au peuple grec pour, soi-disant, sauver l’euro et leur pays sont-elles acceptables?

Francis Wurtz. Il s’agit, hélas, de bien plus que de mesures d’austérité. On met à bas une société! L’Union européenne exerce sur ce peuple un chantage criminel: ou la banqueroute, ou la soumission. Il y a, dans cette entreprise sans précédent en Europe, une dimension punitive d’une arrogance impitoyable. Une caste de puissants (Merkel, Sarkozy, Draghi, le président de la Banque centrale, Juncker, celui de l’Eurogroupe) s’arroge le droit de mettre un pays membre sous tutelle et de faire plier un peuple au mépris de sa souveraineté et de sa dignité. La stigmatisation, l’humiliation ont libre cours.

Ils agissent sur le modèle du FMI en Afrique dans les années 1980. Est-il besoin de le dire: leur objectif n’est pas de sauver la Grèce mais ses créanciers et la zone euro. Comme l’a reconnu un diplomate proche de la troïka (Banque centrale européenne, Fonds monétaire international et Commission européenne): «Sans le risque de contagion à l’Italie et à l’Espagne, on laisserait tomber la Grèce maintenant.» Si nous laissions passer un tel forfait, une digue serait rompue. Nous serions condamnés à subir durablement à notre tour un régime dont l’actuelle offensive de régression sociale et de déconstruction d’acquis démocratiques essentiels donne un avant-goût. D’une certaine manière, les Grecs résistent aussi pour nous. La moindre des choses est de leur apporter notre soutien. La solidarité est réciproque.

Pascal Canfin. Les émeutes à Athènes démontrent l’exaspération d’une partie du peuple grec face à des plans d’austérité toujours plus durs et son refus de toute mise sous tutelle budgétaire du FMI ou de l’Union européenne. Ce nouveau plan est à la fois injuste et inefficace. Injuste, car il va toucher en premier lieu les plus pauvres, notamment en réduisant le niveau du salaire minimum; inefficace, car ses conséquences seront toujours plus de récession en Grèce et la perpétuation du cercle vicieux de la dette et de l’austérité. Rappelons que, depuis la mise en place des premières mesures d’austérité, la dette grecque a augmenté de 40 points de PIB. Un plan B implique de sortir de l’idéologie néolibérale de la troïka qui pilote les plans d’austérité. Il faut sanctuariser les dépenses sociales essentielles et le salaire minimum pour éviter une régression sociale encore plus insupportable. Par ailleurs, l’Europe pourrait financer une stratégie d’investissements utiles, comme dans les économies d’énergies ou les énergies renouvelables. L’absence de ce volet de soutien pousse aujourd’hui le peuple grec au désespoir et à la violence.

Pervenche Berès. Depuis près de deux ans, la troïka procède à une véritable saignée sociale en Grèce. Le dernier plan d’austérité que le Parlement hellénique a dû entériner sous la férule de la droite conservatrice est révélateur: une diminution de 22% du salaire minimum, la suppression de 15000 postes de fonctionnaires et de nouvelles coupes franches dans leurs rémunérations et le niveau de leurs retraites. La Grèce vit un nouveau plan d’ajustement structurel digne de ceux menés en Asie et en Amérique du Sud au cours des années 1990. L’installation en Grèce, mais aussi en Italie, de gouvernements dits techniques, où siègent des «experts», est un signal préoccupant pour la démocratie européenne: l’arbitrage des préférences collectives ne saurait être confié à d’autres institutions que celles ayant reçu l’assentiment des peuples européens. La Grèce doit aujourd’hui faire face à des difficultés financières réelles qui ne sauraient être résolues en généralisant la précarité au sein de la population active. Ainsi, la Grèce a notamment besoin de reconstruire les bases d’une administration fiscale forte pour lutter contre le phénomène endémique de fraude fiscale qui ne profite qu’aux plus fortunés du pays.

Le pacte euro plus, le paquet de six directives adopté par le Parlement européen, et le nouveau traité ne condamnent-ils pas le peuple grec, entre autres, à perpétuité?

Pascal Canfin. Le pacte euro plus condamne la majorité des pays de l’Union européenne à l’austérité et au chômage. La monnaie commune implique des règles communes. Mais ces règles ne peuvent aller dans un seul sens. La discipline budgétaire ne devrait être qu’une des composantes de la gouvernance économique européenne. L’Allemagne, qui a comprimé ses salaires depuis les années2000, est autant à l’origine des dysfonctionnements de la zone euro que la Grèce. Pourquoi n’existe-t-il pas de procédure de sanctions dans ce cas? En pratiquant une austérité salariale et budgétaire excessive, l’Allemagne joue un jeu non coopératif vis-à-vis de ses partenaires européens.

Pervenche Berès. On est en effet en droit de s’interroger sur la réalité des objectifs poursuivis par la droite européenne lorsque ses chefs d’État adoptent le pacte euro plus. Prétendant s’attaquer aux déficits budgétaires qu’ils ont contribué à accroître par une politique fiscale favorable aux plus aisés, ils ont, en fait, creusé le déficit démocratique qui mine aujourd’hui le projet européen en décidant en conclave gouvernemental que la voie néolibérale était la seule valable pour sortir l’Union européenne de la crise financière actuelle. Le traité international résulte de la même philosophie: dépourvu de toute base légale communautaire et balayant les propositions émises par les représentants des citoyens européens, ce texte oblige les États membres à instaurer une règle d’or constitutionnelle les condamnant à mener une politique d’austérité sous couvert d’un objectif d’équilibre budgétaire alors qu’elle le rend impossible. Plus grave encore, cet accord institutionnalise un droit à la délation en offrant la possibilité à chaque État membre de la zone euro de dénoncer celui de ses voisins qui ne respecterait pas à la lettre la nouvelle doctrine économique promue par la droite européenne. Mis en scène par la chancelière allemande et un président de la République suiveur, les sommets historiques européens n’en finissent plus de succéder aux réunions de la dernière chance, censées apporter une réponse définitive à la dégradation de la situation budgétaire grecque. Deux ans après, la crise de la dette souveraine s’est propagée au Portugal, ainsi qu’à l’Irlande, et menace sérieusement l’Espagne et l’Italie. Cette situation constitue un désaveu cinglant des recettes économiques et politiques privilégiées par la droite européenne.

Francis Wurtz. Précisément, nous sommes tous concernés! Il faut alerter nos concitoyens sur la portée de ce nouveau traité. L’adopter, c’est renoncer durablement à toute ambition sociale, ainsi qu’à des dimensions majeures de la souveraineté populaire. Le traité interdit le vote d’un budget en déséquilibre. Il sacralise la règle d’or (0,5% de déficits publics). Il durcit encore les mécanismes européens de surveillance des politiques économiques nationales. Il institue des sanctions «automatiques», en cas de dépassement des normes. Chaque État s’engage à prendre… «les mesures nécessaires dans tous les domaines essentiels au bon fonctionnement de la zone euro». À bon entendeur, salut! Comprenez: la «compétitivité» par la «baisse (sans fin) du coût du travail» et la «stabilité financière» par le rationnement des dépenses publiques. Voilà pourquoi ce traité provoque une véritable levée de boucliers dont témoigne la journée d’action de la Confédération européenne des syndicats, le 29février. Une première contre un traité européen! Bref, les enjeux politiques et de société de ce traité sont tels qu’un débat national suivi d’un référendum s’imposent à nos yeux en France, d’ici la fin de l’année, sur ce sujet. Et je ne vois pas comment une gauche victorieuse grâce à une puissante volonté de changement pourrait faire autrement que d’appeler, sans mégoter, à rejeter ce traité. Cela mérite une bonne clarification, d’autant qu’au Parlement européen, le 2février, les groupes PPE (UMP), libéral, socialiste et Verts ont présenté… une résolution commune (!) entérinant sans coup férir ce traité, même si la plupart des députés français, socialistes et Verts, se sont abstenus sur le texte de leur propre groupe. Débattons! Le Front de gauche s’y emploie.

Quelles décisions une France de gauche devrait-elle prendre pour venir en aide au peuple grec?

Pervenche Berès. L’actuel locataire de l’Élysée, dont le bail arrive bientôt à échéance, a été complice de la chancelière Angela Merkel pour l’élaboration du pacte budgétaire. Face à cette déconstruction méthodique de toute capacité d’intervention de la puissance publique, François Hollande a été le seul candidat à l’élection présidentielle à annoncer qu’il s’attellera, dès son arrivée au pouvoir, à la renégociation d’un traité qui n’apporte aucune solution d’urgence à la crise actuelle. Le pacte de responsabilité, de croissance et de convergence qu’il porte aura pour premier objectif d’apporter une réponse crédible aux tensions exercées sur les dettes souveraines. Pour ce faire, la mutualisation d’une part significative des dettes souveraines de la zone euro sera proposée à nos partenaires européens, tout comme la mise en oeuvre d’une taxe sur les transactions financières destinée à lutter contre la spéculation financière et à alimenter les budgets européen et nationaux. Un plan de lutte coordonnée contre l’évasion fiscale sera également mis sur la table afin de permettre au Trésor public grec de retrouver des marges de manoeuvre budgétaires. Parallèlement, partout en Europe, il faudra favoriser une véritable politique de croissance créatrice d’emploi. La crise économique et financière a mis en évidence l’interdépendance croissante des économies de la zone euro. Apporter un soutien au peuple grec passe donc par la mise en place d’une gouvernance économique de l’eurozone et d’une coordination accrue des politiques budgétaires et économiques menées par les États membres afin de favoriser l’indispensable effort de convergence économique et sociale.

Pascal Canfin. La solution à la crise grecque suppose de trouver un compromis acceptable tant par les Grecs que par le reste de l’Europe. La France pourrait proposer que la Grèce bénéficie d’une monétisation d’une grande partie de sa dette. Mais cette monétisation de la dette grecque ne peut se faire sans un engagement des Grecs de ne pas répéter les errements passés, car ni les Grecs ni les Européens n’ont intérêt à une Grèce sous perfusion des financements européens et sous tutelle de fait de la Commission européenne. Les Grecs doivent accepter de moderniser enfin leur État et faire de la lutte contre l’évasion fiscale et l’amélioration de la collecte de l’impôt, la priorité absolue. Ils doivent aussi diminuer des dépenses militaires record (qui bénéficient principalement à l’industrie de défense en France et en Allemagne) car le différend frontalier avec la Turquie, notamment la question de Chypre, ne pourra se régler que diplomatiquement.

Francis Wurtz. Une France de gauche jouera une partie de sa crédibilité sur l’affaire de la Grèce! Elle devra d’emblée déclarer qu’elle se désolidarise de cette politique et agir publiquement pour une stratégie alternative: permettre à la BCE de racheter une partie substantielle de la dette et s’attaquer aux retards de productivité par l’aide à la promotion des capacités humaines (emploi, formation, recherche, services publics…) et par un sérieux effort de rééquilibrage des échanges. C’est le sens de notre proposition de créer un Fonds européen de développement social et de solidarité empruntant auprès de la BCE, à taux très bas, l’argent qu’il prêtera aux États pour financer des projets précis de développement social et de réduction des inégalités de développement. Imaginez le débat que ce coup de tonnerre déclenchera dans toute l’Union européenne! Place aux peuples! Ce sera une rude bataille, mais la gauche, la France et l’Europe en sortiront grandies.

Francis Wurtz, député (GUE-GNL) honoraire du Parlement européen;

pascal canfin, député européen (Europe Écologie-les Verts);

pervenche Berès, députée (PS) européenne.

Entretiens réalisés par Dany Stive