On aura tout dit et entendu sur les difficultés que traverse actuellement la Grèce. Que la situation grecque se distingue d’autres cas semblables en raison de la durée de son déficit, que sa crédibilité a été entamée par les mensonges à répétition des autorités publiques sur la réalité de ceux-ci…
Je ne me prononcerai pas non plus sur la polémique partisane qui relève (sans doute à juste titre) que le nouveau gouvernement socialiste hérite d’une situation désastreuse… Je souhaite revenir sur deux aspects : d’abord sur les spéculations qui ont été les plus vives en fin de semaine dernière sur l’éventualité d’un bail-out (plan de sauvetage) de la Grèce par les Etats membres de l’UE, scénario que certains rejettent car contraire aux traités et que d’autres invoquent par pragmatisme politique.
La clause de no bail-out à laquelle beaucoup se réfèrent découle de l’article 123-1 du traité de Lisbonne :
« Il est interdit à la Banque centrale européenne (BCE) et aux banques centrales des Etats membres, ci-après dénommées « banques centrales nationales », d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des Etats membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. »
Pourtant, le même traité dispose dans son article 122-2 :
« Lorsqu’un Etat membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d’événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l’Union à l’Etat membre concerné. Le président du Conseil informe le Parlement européen de la décision prise. »
Mutualisation de la dette
L’appartenance de la Grèce à la zone euro interdit le recours à la facilité dont ont pu bénéficier la Hongrie puis la Lettonie et la Roumanie à partir de novembre 2008. J’avais, dès cette époque, invité la Commission à définir les conditions d’utilisation de cet article 122-2, elle est obligée de le faire aujourd’hui dans l’improvisation et la précipitation des acteurs.
L’Union européenne et a fortiori la zone euro disposent donc des instruments légaux pour soutenir la Grèce, y compris par la mutualisation de la dette souveraine. L’obstacle à surmonter n’est donc pas juridique, mais bel et bien politique.
Bien sûr un tel choix n’est pas aisé à faire, surtout dans un contexte social tendu qui peut inciter au repli sur soi. De même, tout mécanisme de solidarité sera assorti de dispositions de surveillance accrues plus difficiles à expliquer aux citoyens grecs, qui seront contraints de l’accepter, qu’aux citoyens allemands « contraints » à la solidarité fiscale. Les circonstances actuelles obligent les gouvernements à faire preuve de responsabilité en prenant conscience et en expliquant que le coût de l’inaction sera à terme plus important, et ce pour l’ensemble de la zone euro, que celui d’une intervention coordonnée.
Autre sujet étrangement absent des débats actuels, le rôle des agences de notation de crédit dans les mouvements de panique des marchés financiers. Il ne s’agit pas de remettre en question la nécessité d’une évaluation indépendante de la dette souveraine des Etats. Cependant, la qualité du travail des trois grandes agences américaines qui se partagent le marché de la notation peut être mise en doute alors qu’elles n’ont rien dit des statistiques et bilans présentés par les autorités grecques ces dernières années, pas plus qu’elles n’avaient su observer la dégradation des produits titrisés incluant des subprimes.
La réputation de ces agences, sur laquelle elles assoient leur hégémonie, devrait sortir entachée de l’épisode grec au moins autant que la crédibilité des autorités publiques grecques sortantes elles-mêmes. Ensuite, leur contribution aux mouvements spéculatifs qui touchent la dette grecque et, par ricochet, l’euro, plaide pour un mécanisme alternatif de notation de la dette souveraine des Etats, qui relève du champ public.
J’avais, à l’occasion de l’examen par le Parlement européen du règlement sur les agences de notation, lancé l’idée que des cours des comptes indépendantes puissent exercer cette fonction. J’ai la conviction que les circonstances actuelles éclairent cette proposition d’un jour nouveau.