« S’opposer à l’embardée libérale, droitière et xénophobe de l’Europe »

Tribune
Samedi 11 août 2012

Pervenche Bérès, Laurence Rossignol, Christian Paul, Pouria Amirshahi, Philippe Martin, parlementaires socialistes et La Gauche Durable.

Un buste de Marianne et un drapeau de l’Europe (Mychele Daniau/AFP)

L’Europe est devenue anxiogène. Si elle est forte, elle n’en est que plus puissante pour imposer l’austérité. Si elle est faible, elle accroît l’inquiétude de notre place dans le monde.

La victoire de François Hollande et de la gauche en France marque un tournant majeur dans l’espace politique européen. Porteur d’une volonté de réorientation, la gauche entend s’opposer à l’embardée libérale, droitière et xénophobe de l’Europe.

A nos yeux, cette ambition ne peut faire l’économie des trois priorités identifiées par la Gauche Durable : la transition vers un nouveau modèle de croissance, l’égalité des territoires et des peuples européens et la revitalisation de la participation démocratique.

Croissance en berne

En Europe aussi, le chômage explose : deux millions de chômeurs supplémentaires en un an. L’outil industriel est démantelé. Exemple parmi tant d’autres, Arcelor Mittal impose sans vergogne une cure d’amaigrissement aux appareils productifs français, espagnol, belge et luxembourgeois. Et la croissance s’affiche décidément en berne, selon les dernières prévisions du FMI, qui annonce une contraction de 0,3% du PIB de la zone euro en 2012.

Soutenir la croissance sans agir sur son contenu favorise essentiellement des investissements capitalistiques sans considération de leur contenu en emploi ainsi que la spéculation financière et la maximisation des taux de profit, par un accès débridé au marché des capitaux.

L’Europe doit piloter une politique industrielle qui s’organise autour des objectifs du « paquet climat énergie », augmenter ses ambitions de réduction des émissions de CO2 et préparer son indépendance énergétique. C’est un des enjeux du budget de l’Union (de 2014 à 2020). En parallèle, de nouveaux indicateurs doivent intégrer les données sociales et environnementales et non plus le seul PNB.

La fracture s’aggrave

L’égalité des territoires n’est pas une utopie. Les déséquilibres macroéconomiques, dans la zone euro, et les inégalités de revenus se sont accrus, aggravant la fracture entre le centre et la périphérie. Ces écarts se sont creusés entre pays de la zone euro et au sein des pays où des nouvelles oligarchies ont remplacé les anciennes bureaucraties.

Ces inégalités nourrissent l’euroscepticisme et engendrent des migrations qui favorisent la xénophobie.

Les délocalisations industrielles et fiscales, comme le dumping social entre salariés européens est incompréhensible et révoltant pour les Conti, les PSA, les Dell et tant d’autres qui ont vu leur production partir vers une autre région de l’UE. Comment leur demander, ensuite d’aimer l’Europe ?

Effort d’imagination et de mobilisation

Changer de paradigme européen suppose donc sur notre continent un effort d’imagination et de mobilisation sans précédent depuis 1945. Il passe par l’augmentation significative du budget communautaire et donc l’appel à des ressources propres (taxation des transactions financières, taxe carbone…).

Les fonds structurels, et en premier le Fonds social européen, doivent bénéficier de dotations conséquentes afin d’assurer le déploiement de mécanismes de péréquation et d’inclusion sociale. Pour réduire les écarts de richesse et de niveaux de vie entre les 27 Etats membres et leurs régions, il faudra aussi investir utilement dans la recherche et le développement, accentuer l’effort en faveur des technologies et les réseaux de demain, donner sa chance à l’économie sociale et solidaire, et agir pour qu’une Europe décarbonée, numérique et génératrice d’emplois de qualité puisse voir le jour.

L’Europe que nous voulons doit aussi se tourner vers le continent africain : pas tant par empathie que par intérêt. Notre avenir ne peut se construire par une concurrence entre salariés du Nord et du Sud, fondée sur la recherche de la baisse des coûts de main d’œuvre, favorisant les délocalisations et les ressentiments nationalistes.

Il est temps de penser le bassin méditerranéen sur la base d’une stratégie de multi localisations, susceptible de favoriser le partage de la valeur ajoutée. En d’autres termes ce que les pays de l’Est européen ont voulu construire au lendemain de la chute du mur de Berlin, les pays riverains de la Méditerranée peuvent le réussir.

Un « saut » démocratique

Enfin, oser la démocratie ! La victoire socialiste en France redonne ses chances à une possible majorité européenne de gauche. Il est plus que temps de donner à l’Europe un cap, un « saut démocratique », autour d’un ambitieux choix de société. Il se distingue du « saut fédéral » de la droite, qui incarne le constitutionalisme économique, l’ordolibéralisme, la « règle d’or » pour accroître le pouvoir de la Commission et de la Cour de justice de sanctionner les Etats. Nous voulons plus d’Europe politique pour peser dans le monde et débattre démocratiquement du contrat social européen.

A cette fin, il faudra faire grandir la démocratie européenne, et légitimer ses institutions, avec un Président de la Commission issu des élections européennes et des pouvoirs plus clairement définis. De nouveaux transferts de souveraineté seront nécessaires et préférables à des processus de coordination lourds, intrusifs et inefficaces, à la seule condition que nous sachions leur donner un contrôle démocratique. Car intégration européenne ne doit pas se confondre avec abandon de souveraineté.

Redonner du sens à cette communauté de destins

Au total, rien ne se fera sans approfondissement de la démocratie européenne. Le Parlement européen, dans le rôle qu’il a conquis de co-législateur européen, contribuera naturellement à ce changement. Mais sa volonté et son action seules ne suffiront pas. Une nouvelle articulation avec les Parlements nationaux doit être tissée.

Par ailleurs, les gouvernements nationaux cèdent trop souvent à la tentation de revendiquer des succès d’essence collective et d’attribuer leurs échecs à Bruxelles. Enfin, c’est aux citoyens européens, et à eux seuls, qu’appartiennent la légitimité et l’ambition de redonner du sens à cette communauté de destins, au fondement de l’idée d’Europe.

La démocratie sociale européenne est encore balbutiante. Les confédérations syndicales, un peu schizophrènes construisent patiemment une coordination européenne, tout en gérant l’eurocolère de leurs adhérents. Il faut les soutenir, les reconnaître, les aider. La Gauche durable mobilisera toutes les expertises et toutes les énergies créatives citoyennes pour creuser le sillon d’une Europe unie par l’excellence sociale et écologique.