Tribune Libération
26 décembre 2012
PERVENCHE BERES Députée européenne , STÉPHANE TROUSSEL Président du conseil général de la Seine-Saint-Denis
Si l’Europe veut éviter une fracture entre ses institutions et ses territoires, elle ne doit pas arbitrer entre le désendettement et la solidarité envers les plus démunis, mais au contraire mener les deux de front. Le Royaume-Uni de monsieur Cameron a pourtant, lors d’un récent sommet à Bruxelles, appelé à une importante réduction de l’enveloppe de la politique de cohésion. Cette position, partagée par d’autres Etats membres de l’Union européenne, nous semble en contradiction avec les exigences qui président à la construction du budget européen pour la période 2014-2020.
Alors que la pauvreté et la précarité ne cessent d’augmenter, ce budget doit permettre la sortie de crise, en même temps que l’intégration solidaire voulue par le président de la République. La réduction du montant des fonds européens dans ce budget nous semblerait dès lors une erreur stratégique, non moins qu’une faute politique. Une erreur stratégique d’abord, parce que c’est au moment où le risque de décrochage est le plus vif pour tant d’habitants et de territoires que la solidarité européenne doit s’affirmer avec le plus de vigueur. Déjà les 80 millions de pauvres, les millions de précaires et les 26 millions de chômeurs que compte l’Union désespèrent d’une Europe protectrice. Lorsque les plans sociaux se multiplient, que les jeunes sont plus nombreux à rester vivre chez leurs parents faute de revenus et que des familles entières recourent à l’hébergement d’urgence, ce sont les forces vives dont nos entreprises auront besoin demain qui sont gâchées, et les populismes politiques qui gagnent du terrain.
Est-ce bien le moment, alors, de consacrer moins de 25 % du budget de la politique de cohésion au Fonds social européen (FSE), grâce auquel chaque année, plus de 10 millions d’Européens sont soutenus dans leurs démarches d’emploi, de formation ou d’aide à la création d’entreprise ? L’Europe économique ne peut se permettre d’affaiblir une solidarité déjà éprouvée par les exigences du désendettement, pas plus que ne le peut l’Europe politique. L’affaiblissement de la politique de cohésion accentuera le divorce entre l’opinion européenne et le projet européen. Ce serait là une faute politique rédhibitoire tant, depuis quatre ans, les Européens ont constaté l’effacement de l’Europe politique devant la technocratie et la finance.
Comme eux, nous attendons que l’Europe agisse pour l’insertion et l’inclusion de tous. Cela passe notamment par une confiance renouvelée aux régions et aux départements, qui par leurs politiques d’insertion, de formation et de lutte contre la pauvreté, tiennent un rôle de bouclier social dans les territoires. Couper les aides européennes au moment où les régions s’apprêtent à en assumer directement la gestion marquerait une défiance dommageable à l’attention des collectivités.
Nous refusons une politique de cohésion au rabais, mais nous refusons aussi une politique de cohésion qui discriminerait entre eux les territoires. Il ne faudrait pas oublier qu’au-delà des disparités entre les régions, il existe de fortes disparités au sein même des régions.
L’Ile-de-France est la première région européenne par son PIB, mais les inégalités de richesse, de santé, d’accès au logement y sont particulièrement élevées. Elle attire de nombreuses multinationales et accueille quantité de sièges sociaux, mais c’est aussi sur son territoire, au cœur de la Seine-Saint-Denis, que la fermeture du site PSA bouleverse aujourd’hui la vie de milliers de familles.
Les salariés des grandes métropoles auraient-ils moins besoin que d’autres de mesures d’accompagnement face à la multiplication des plans sociaux ? Nous pensons au contraire que pour sortir de l’ornière, l’Europe doit travailler différemment, mais avec tous.
Sur le fond, une sanctuarisation du budget alloué à la plus grande urgence, celle prise en charge par le Programme devenu le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) grâce auquel les associations nourrissent chaque année 18 millions de personnes est indispensable. Parallèlement, pour parer au décrochage des habitants travaillant dans les secteurs bouleversés par la crise et qui voient le coût de la vie augmenter, le relèvement des fonds structurels à 12 euros par an et par habitant en Ile-de-France, contre les 9 euros de la précédente période, assurerait enfin un effet levier sur l’emploi. Enfin, le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM), aujourd’hui doté de 500 millions d’euros par an, doit être renforcé pour contribuer à la reconversion des secteurs industriels menacés.
Pour accompagner ce réarmement de la politique de cohésion, nous proposons la création d’une mission d’intervention d’urgence composée de députés européens, de représentants de la Commission, d’élus locaux et de partenaires sociaux. Cette mission se rendrait sur le terrain là où se trouve l’urgence économique ou sociale et elle mobiliserait ensuite les instances européennes de Bruxelles et Strasbourg pour agir. En se rapprochant ainsi au nom de l’intérêt des habitants, l’Europe et les territoires signeraient le retour de l’Europe politique et citoyenne.