DE PERVENCHE BERÈS ET MICHEL DERDEVET
Aujourd’hui, plus de 50 millions d’Européens n’ont pas accès au confort de base parce qu’ils ne peuvent plus payer leurs factures d’énergie. Cela installe une vraie « fracture énergétique » dans l’Union.
Alors que la création du marché européen était censée avoir comme finalité l’intérêt des consommateurs, ceux-ci sont les grands laissés-pour-compte. Les directives gaz et électricité de 2003 et 2009 comportaient une clause obligatoire de mise en place de tarifs sociaux pour les plus démunis, mais celle-ci n’est respectée à l’heure actuelle que par 10 Etats membres sur 27.
Face à cette situation, on peut, comme les ministres de l’Energie en sont malheureusement convenus le 6 septembre dernier, renvoyer à des actions nationales, chacun luttant à sa manière, chez soi, contre la pauvreté énergétique. C’est pour nous, tant au plan politique que technique, inefficace et injuste, car seule l’action commune et coordonnée peut régler cette question. Si l’Europe, en matière d’énergie, ne marche que sur un pied, celui de la concurrence, elle reniera le volet solidaire qui fait son fondement et sa raison d’être au regard de tous les citoyens européens.
A quoi sert d’avoir organisé, depuis vingt ans, un marché intérieur de l’électricité si l’Europe est aujourd’hui incapable de définir de manière commune la quantité minimale d’énergie physique nécessaire pour couvrir les besoins de base comme la cuisson, l’éclairage, le chauffage et le transport, ou le pourcentage des revenus (10 % par exemple) au-delà duquel les coûts liés à la consommation d’énergie sont, pour les ménages européens, exorbitants et intolérables ?
L’Europe doit aussi améliorer l’information sur les nouveaux droits des consommateurs. Il faut enfin, au niveau européen, encourager les innovations technologiques permettant d’optimiser l’utilisation de l’énergie des consommateurs les plus vulnérables.
Au-delà de ces chantiers épars, il existe un espace pour un engagement fort, un pacte de sécurité et de solidarité énergétique, qui consacrerait aux yeux de tous la dimension stratégique et vitale de l’énergie.
Deux modèles s’esquissent à l’horizon, qui méritent un grand échange public en Europe : le service universel de 2003 et l’aide aux « vulnérables ». Ils correspondent à deux visions, la vision française de service public (des prix égaux, péréqués pour tous, sur un même territoire), et l’anglaise d’aide aux pauvres (« powerpoverty ») où les collectivités locales et territoriales ont des objectifs de réduction de la pauvreté à atteindre en faisant passer la part de l’énergie en dessous de 10 % du budget des ménages.
Quelles que soient les modalités retenues, un Pacte fixant des objectifs nationaux de recul de la pauvreté énergétique s’impose, comme il y a aujourd’hui, dans le pacte de stabilité et de croissance, des objectifs de réduction des déficits publics. Il y a urgence à le faire car la lutte contre le réchauffement climatique et le renchérissement de l’énergie fossile devraient entraîner une augmentation du prix de l’énergie et engendrer, si rien n’est fait, une nouvelle fracture sociale.
En matière d’énergie, l’Europe s’est enfermée jusqu’ici dans une vision théorique et dogmatique de la concurrence, oubliant que la seule légitimité du marché intérieur réside dans l’intérêt des consommateurs. Il faut désormais qu’elle reparte du bon pied et reparle avec le citoyen européen !