La Revue « Risques » a fêté en décembre dernier la sortie de son numéro 100. A cette occasion ses rédacteurs ont demandé à cent personnalités françaises et étrangères de bien vouloir répondre à cinq questions sur le(s) risque(s). Je me suis prêtée à l’exercice.
1. Comment caractériser, en quelques lignes, votre activité et la passion qui vous anime dans son service ?
L’Europe est ma passion, et parce qu’elle est, envers et contre tout, notre avenir, cette passion m’oblige. La défendre et la construire, tel est le sens de mon engagement politique. Il se déploie d’abord dans le champ économique. Car c’est celui où devrait exister, la paix acquise et après l’adoption de l’euro, une vraie valeur ajoutée de l’Union, celle qui est utile aux citoyens et permet de changer la société. C’est pourquoi j’ai choisi de siéger à nouveau au sein de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, que j’ai présidée de 2004 à 2009.
Cette décision n’est pas le reflet d’un désintérêt pour les questions sociales, après avoir présidé au cours des cinq dernières années la Commission de l’emploi et des affaires sociales. Au contraire, ces années m’ont confortée dans la conviction que les passerelles, les allers-retours entre l’économique et le social sont indispensables. Créer de l’emploi ne peut se réduire à une politique économique mais on ne peut y parvenir sans intégrer cette priorité explicite à la politique économique. Elle est une condition nécessaire mais non suffisante à la création d’emploi.
2. Quels sont les principaux risques auxquels vous pensez être confronté dans votre activité aujourd’hui ?
Parmi les risques auxquels je suis confrontée, j’en choisirai trois.
Le risque le plus politique, c’est celui d’être à la fois obsédé et tétanisé par l’injonction de répondre à l’accusation du Front national quant à l’existence d’une collusion « UMPS ». Le seul cap qui compte, c’est celui de la réorientation de l’Europe pour que le résultat des élections européennes ne soit pas l’amorce d’une catastrophe annoncée.
Face à la complexité des enjeux, le risque technocratique est latent. Il décharge le politique de la prise de risque mais constitue un risque encore plus grand d’immobilisme et de processus autobloquant. Il est très présent dans la bulle européenne. Toujours prête à engendrer plus de complexité, de procédures, la technocratie prémâche des décisions que ne sous-tend aucune vision. Elle se situe du côté des sophistes, contre la démocratie.
Enfin, le risque le plus direct tient au poids des lobbies qui, sous couvert d’expertise, détricotent l’intérêt général européen. En particulier, à l’instar de ce qui se passe au Congrès des États-Unis, le lobby financier, qui a recruté 1 700 soldats sur la place bruxelloise et consomme un budget annuel de 120 millions d’euros pour asseoir son influence, dispose d’une puissante force de frappe.
3. Dans votre domaine, comment imaginez-vous l’évolution de ces risques ?
Les élections ont révélé l’ampleur de la défiance des citoyens à l’égard de l’Union, qu’illustre en France l’abstention, véritable victorieuse du scrutin et désormais premier parti de France. Le risque c’est de rester sourd à la réaction des Européens et aux données quant à la situation économique européenne en plaidant en faveur de toujours plus de réformes structurelles alors que le risque de déflation est là et qu’il ne résulte pas uniquement de l’absence de celles-ci.
4. Quelle stratégie ou action faut-il, de votre point de vue, mettre en œuvre pour limiter et contrôler les risques-menaces et promouvoir les risques-opportunités ?
La stratégie à mettre en oeuvre impose de réfléchir « en dehors de la boîte ». Concernant les risques-menaces, l’un des enjeux est d’opposer un contrepouvoir aux lobbies du « business as usual ». Dans le domaine financier, Finance Watch est un bel exemple d’acteur alternatif. La création d’une véritable Union bancaire doit être une vraie réponse alors que trop souvent des acteurs de la supervision sont sur le plan national « too close to speak ».
S’agissant des risques-opportunités, l’Europe, pour sortir de l’ornière, doit recourir à une stratégie audacieuse qui assurera sa stabilité et sa résilience économiques tout en retissant le fil de la solidarité. Cela passe par la mise en place d’outils contra-cycliques pour la zone euro : une capacité budgétaire propre, un régime de mutualisation des dettes et/ou un système d’indemnité chômage minimum.
5. Quelle action collective souhaiteriez-vous voir se développer pour préparer l’avenir ?
L’accroissement des inégalités sociales, environnementales et territoriales mine l’avenir du projet européen. Afin d’inverser la tendance, l’effort collectif doit porter sur la création d’un nouveau modèle de développement, fondé sur le paradigme de la transition écologique, qui comprend mais dépasse la question énergétique.
Inventer, pour mieux vivre ensemble, d’autres modes de production créateurs d’emplois, de consommation et de redistribution, sobres en ressources et respectueux de la planète, voilà l’horizon commun vers lequel nous devons tendre. S’en dédire, c’est l’assombrir ; investir, l’éclaircir.
Députée européenne depuis 1994, Pervenche Berès a présidé la commission des affaires économiques et monétaires (2005-2009), et la commission de l’emploi et des affaires sociales (2009-2014). Elle est présidente de la délégation socialiste française et membre des commissions économique et monétaire ; industrie, recherche, énergie ; constitutionnelle.