Article de Pervenche Berès
Paru dans le Magazine « Constructif »
Mars 2015 – Numéro 40
Plan Juncker : un soutien conditionnel
Face aux défis climatique et démographique que connaît l’Union européenne, l’absence d’investissement, en recul de 17 % depuis 2007, est plus grave pour les générations futures que le niveau de la dette.
Alors que la crise se prolonge, c’est l’avenir même de l’Union qui se joue. Aucun démocrate ne peut en rester spectateur. La crise que les Européens subissent depuis sept longues années menace le continent européen de récession, de déflation, et risque de le conduire à un décrochage économique et social lourd de conséquences pour la démocratie elle-même.
C’est dans ce contexte que les socialistes européens ont conditionné leur soutien à la désignation de M. Juncker comme président de la Commission à un plan d’investissement. Face aux défis climatique et démographique que connaît l’Union européenne, l’absence d’investissement, en recul de 17 % depuis 2007, est plus grave pour les générations futures que le niveau de la dette.
La droite européenne, jusqu’ici si sourde à nos alertes répétées, a finalement compris qu’il était temps de soutenir un tel plan. C’est, d’une certaine manière, prendre acte de l’échec des années Barroso dans la gestion politique et économique de la crise. La récente décision de la BCE de lancer, pour la première fois dans son histoire, un programme substantiel de rachat de dettes vient, en toute indépendance, couronner cette nouvelle approche.
L’inflation trop basse au sein de la zone euro exposait la BCE au risque de ne pas mettre en oeuvre son mandat, qui est de maintenir la hausse des prix sur base annuelle à un niveau inférieur mais proche de 2 %, alors que l’inflation, selon Eurostat, était pour la zone euro de – 0,2 % en décembre 2014.
Aller plus loin
Reconnaître que ce plan est indispensable doit conduire à aller plus loin. Il faut admettre que la seule réponse à la crise ne pouvait pas venir d’approches nationales ordo-libérales imposées en sous-évaluant la situation globale de la zone euro, l’effet multiplicateur du rythme de correction des déficits et de la dette ou l’impact déflationniste à court terme des réformes structurelles. La situation extrême a été vécue dans les pays où la « troïka 1 » est intervenue pour mettre en oeuvre une austérité brutale sans contrôle démocratique.
Ce dont l’Europe, et singulièrement la zone euro, a besoin, c’est une solution européenne où l’intelligence collective au service d’un pilotage fin de la politique économique trouverait un espace et où la flexibilité accordée aux États dans la maîtrise de leurs réformes structurelles ne serait plus un tabou. Il faut reconnaître que les règles actuelles qui président à la gouvernance de l’Union économique et monétaire ont pu contribuer à cette situation de sous-investissement et de chômage excessif, d’aggravation des divergences entre les États membres et de creusement des inégalités.
Le chemin parcouru par les gardiens du temple de l’orthodoxie budgétaire est impressionnant. Il est cependant directement lié à une réalité économique et sociale qui s’impose aujourd’hui presque partout en Europe. Mais la question doit être posée des conditions dans lesquelles le plan d’investissement présenté en novembre dernier apportera une contribution utile pour sortir l’économie européenne de la stagnation, pour mettre la zone euro à l’abri de la menace de déflation, pour retrouver le chemin d’un développement durable et, surtout, pour reconquérir la confiance des Européens.
Un levier parmi d’autres
Ce plan ne sera à la hauteur de l’enjeu et des attentes que s’il agit comme l’un des leviers de la réorientation de l’Europe et d’une politique trop longtemps repoussée où efficacité, durabilité et modernité riment avec solidarité. Il doit aller de pair avec des politiques volontaristes, dans le cadre d’une gouvernance rénovée et plus démocratique, en faveur de l’investissement de long terme, de l’emploi, de la convergence des économies, en mobilisant l’ensemble des outils nécessaires, y compris une véritable fiscalité européenne.
C’est la transition écologique qui doit servir de fil conducteur à ce plan en favorisant la cohérence des projets nationaux et européens. Pour favoriser les investissements de long terme dans cette voie, les Européens devront également parvenir à un véritable prix du carbone et privilégier les retours socioéconomiques. Les investissements devront aussi soutenir l’économie numérique, l’innovation et le capital humain pour renforcer la création et la qualité de l’emploi. Ce n’est qu’en résorbant le chômage et en générant de la croissance durable que l’on réussira à assainir les finances publiques des pays de l’Union.
Ces promesses ne seront tenues que si ce plan permet de lancer de nouveaux investissements, tant publics que privés, dans nos villes et nos régions. Or, les conditions de succès du financement de ce plan dépendent aussi de la capacité des États membres à l’abonder. Mais des États en déficit excessif, comme la France, ne sont pas autorisés à emprunter pour ce faire.
Un nouveau fonds ?
Nous avons proposé une autre stratégie : la mise en place d’un nouveau fonds supplémentaire, dont le capital initial serait progressivement assuré par les États, parce que, malade, l’Europe a besoin d’une thérapie de choc où chacun prendra sa part de responsabilité, car la Commission ne peut pas tout. Cette thérapie, pour être salvatrice, doit être mise en oeuvre avec de l’argent frais — public et privé. Ces nouveaux 100 milliards d’euros d’argent public, que nous avons proposés, ne seraient pas pris en compte dans le calcul des déficits nationaux et pourraient entraîner, par un effet multiplicateur crédible, 400 milliards d’investissements.
Mais il y a aussi des conditions importantes pour que ce plan porte ses fruits. Tout d’abord, le bon usage de la flexibilité. Pas celle qui voudrait mettre à mal notre modèle social en démantelant les acquis des travailleurs et leur protection contre les aléas de la vie, mais celle qui laisserait plus de marge de manoeuvre aux États membres dans la mise en oeuvre du futur plan d’investissement. Car si la Commission européenne maintient, sous la houlette de certains, trop de pression sur les règles budgétaires, ce nouvel édifice sera aussi stérile que le fut la stratégie de Lisbonne — et que risque de l’être, faute d’un nouvel élan, la stratégie UE 2020 —, à un moment où sa réussite est plus cruciale que jamais pour l’avenir de l’Union. La Commission européenne a entrouvert la porte : les contributions nationales au nouveau Fonds européen pour des investissements stratégiques seront neutralisées au regard des règles du pacte de croissance et de stabilité, à condition que les pays restent sous la barre des 3 % de déficit. Il faut aller plus loin dans cette direction la réussite de ce plan dépend pour sa majeure partie de la capacité des États à investir et, donc, de celle de l’Union à inventer d’autres voies plus souples.
Une logique de « juste retour »
Mais ce plan ne sera rien non plus s’il se traduit par une logique de « juste retour » entre États membres et qu’il n’est pas construit comme un outil pour traiter les problèmes européens de manière frontale, y compris la question de la divergence entre les économies, en particulier au sein de la zone euro. Il ne sera rien s’il favorise l’économie numérique et qu’en parallèle rien n’est fait pour permettre, grâce à une fiscalité adaptée, de redistribuer une partie des plus-values qui seront réalisées par les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon).
Au-delà de notre diagnostic, le peuple grec a dit récemment de manière éclatante que l’Europe devait changer d’orientation. Pour établir une véritable union économique et monétaire, il est urgent de mettre en place des mécanismes afin de renforcer la coordination des politiques économiques, la convergence et la solidarité, d’instituer un véritable gouvernement économique respectueux des débats nationaux, dans les Parlements nationaux ou avec les partenaires sociaux pour les réformes, de doter la zone euro d’outils contracycliques.
Personne n’est en mesure de dire si ce plan d’investissement réussira, si cette Commission entendra avec assez de détermination l’appel au changement, mais ce que nous savons, en revanche, c’est qu’il n’existe pas d’autre chemin et que, si ce plan venait à échouer, si nos propositions n’étaient une nouvelle fois pas entendues, c’est l’Union qui sombrerait et la construction européenne, si originale et qui fut porteuse de tant d’espoir, qui disparaîtrait, laissant vingt-huit pays isolés et incapables de faire face seuls aux défis du temps, à la montée des extrémismes et à la réorganisation du monde en États-continents.
Pervenche Berès
Députée européenne, présidente de la délégation socialiste française au Parlement européen.
1. La « troïka » est composée d’experts financiers de la Commission européenne (CE), de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI). Elle négocie avec les gouvernements des États sous assistance financière, vérifie l’état des finances, constate si les réformes promises ont été entreprises et s’assure régulièrement que ces pays remplissent les conditions exigées en échange de l’aide.