Il faut une union politique capable de piloter la zone euro

Interview de Pervenche Berès parue dans l’Opinion le dimanche 5 juillet 2015

par Isabelle Marchais

La députée européenne estime que «la méthode de négociation avec la Grèce a été catastrophique»

Les faits – Présidente de la délégation socialiste au Parlement européen, et auteur d’un tout récent rapport sur la gouvernance économique, Pervenche Berès analyse sans concession la façon dont la Grèce et l’Union européenne se sont elles-mêmes piégées. Et propose des pistes pour éviter qu’une telle impasse se renouvelle un jour.

Présidente de la délégation socialiste au Parlement européen, Pervenche Berès vient de présenter un rapport sur la gouvernance économique. Selon elle, la crise grecque est révélatrice d’une incapacité de la zone euro à gérer une situation de ce type. «On ne peut pas traiter la Grèce uniquement d’un point de vue technique», insiste-t-elle.

Qui est responsable de l’échec des discussions sur la Grèce ?

Les torts sont partagés, même si personne ne veut avoir à endosser la responsabilité d’un échec. Il y a bien sûr une dimension grecque. Mais cette crise est aussi le révélateur d’un inachèvement de l’Union économique et monétaire et d’une incapacité de la zone euro à gérer une situation de ce type. Le FMI est là parce que l’Union européenne et la Commission avaient besoin de son expertise, mais aussi parce que Mme Merkel lui faisait davantage confiance qu’aux Européens. Or, si on regarde les cinq mois qui viennent de s’écouler, on voit que, au-delà des éléments de langage plus ou moins communs, le Fonds poursuivait des objectifs différents. Ce qui a contribué à une impasse.

Les créanciers ont fait des efforts en revoyant à la baisse l’excédent primaire réclamé au pays et les réformes exigées…

Les efforts demandés à la Grèce me semblent encore irréalistes. Ce qui a le plus manqué dans toute cette crise, c’est l’Europe. Chaque pays a d’abord tenu compte de ses propres impératifs de politique nationale, alors qu’Alexis Tsipras a gagné parce que les Grecs n’en pouvaient plus de l’austérité. Les conservateurs ont oublié que leur allié, l’ancien Premier ministre grec Antonis Samaras, avait échoué à mettre en œuvre les réformes et avait en outre conduit à la victoire de Syriza. Plutôt que d’en tirer les leçons, de créer les conditions d’un nouveau départ, on a exigé encore plus de Tsipras, on lui a demandé de mettre en œuvre des réformes que Samaras lui-même avait refusées d’appliquer. Il n’y a qu’à écouter Manfred Weber, le président du groupe PPE qui rassemble les députés européens conservateurs, parler de ce «régime communiste» avec une espère de hargne. De son côté, Tsipras a continué à négocier jusqu’au bout non pour arriver à une conclusion mais pour emmagasiner le maximum de concessions pour l’après-référendum, quel qu’en soit le résultat. C’est sa stratégie, elle est peut-être dangereuse mais de toute façon il est assis sur un volcan.

Pourquoi dites-vous que l’Europe a été absente ?

On reste dans une sorte de glaciation, entre ceux qui veulent appliquer les règles, qui ont pourtant un caractère pro-cyclique, et ceux qui comprennent qu’elles sont tellement folles qu’on ferait mieux de les changer. On demande à la Grèce d’appliquer les réformes, mais où est-il question de «troïka» et de «mémorandum» dans le droit européen? Une autre chose me préoccupe, c’est l’articulation entre la scène politique et la scène technique. Quand Tsipras est élu, François Hollande lui envoie tout de suite un message, il est le premier à l’inviter, et je pense qu’il a une carte à jouer, une passerelle à construire. Et dès le mercredi suivant on voit que la parole des créanciers se structure et l’emporte sur le débat politique. On a traité la question comme s’il s’agissait uniquement de récupérer ses billes. Cela fait cinq mois qu’on se bat pour savoir quel est le taux de TVA applicable alors qu’on sait très bien que tout le monde en Grèce paie tout en liquide ! La méthode de négociation a été catastrophique.

Quelle aurait été l’alternative ?

On ne peut pas traiter la Grèce uniquement d’un point de vue technique. Quand il parle de la France, François Hollande n’arrête pas de dire qu’il faut concilier sérieux budgétaire et relance. Quand il s’agit de la Grèce, on attend la dernière semaine pour parler d’un plan d’investissement de 35 milliards. Le problème de la Grèce est d’abord un problème de restructuration de la dette et d’investissements massifs. Il faut chasser le FMI, éventuellement accepter que la Banque Mondiale vienne nous aider à reconstruire un Etat, et nouer un vrai dialogue de partenariat avec les Grecs.

Vous qui avez voté non au référendum de 2005 sur le traité constitutionnel, avez-vous compris les appels à voter oui ?

Je me suis battue au sein du groupe socialiste du Parlement européen pour qu’il n’y ait pas d’appel en faveur du oui. Vous faites un référendum pour récupérer votre souveraineté et quelqu’un de l’extérieur vous dit pour qui voter ? C’est totalement contre-productif. Faire la campagne du oui, c’est être au côté des plus austéritaires, c’est donner des arguments à ceux qui disent que voter non c’est voter pour le Grexit.

Quelles sont les réformes à mener pour mettre en place une véritable union économique et monétaire ?

Tout d’abord, il faut une union politique capable de piloter la zone euro, pour dire l’intérêt général européen et dépasser le divorce entre pays en surplus et pays en déficit. Ensuite, il faut un budget de la zone euro qui aurait trois fonctions : accompagner les pays dans leurs réformes structurelles, s’assurer que le niveau d’investissement dans la zone euro est conforme au diagnostic établi, absorber les chocs asymétriques sous forme par exemple d’une mutualisation de la dette ou d’un mécanisme d’indemnité chômage. Le troisième pilier, c’est la capacité à gérer la dette et à la restructurer si nécessaire. Toutes ces réformes sont à mener sur le long terme mais nous devons les avoir en tête quand nous tirerons les leçons du référendum. Dans l’immédiat, il faut, comme le propose à juste titre le rapport des cinq présidents sur l’approfondissement de l’union économique et monétaire, dresser une analyse économique à l’échelle de l’UE. Une fois ce diagnostic posé, chaque Etat membre serait plus libre pour mener ses réformes structurelles. Il faut aussi achever l’union bancaire : on a mutualisé la supervision et la résolution mais il manque la garantie des dépôts. On doit aussi, comme je le préconise dans mon rapport, définir une «bonne» réforme structurelle et renforcer la flexibilité pour relancer l’investissement.

Faudrait-il modifier les traités pour prévoir une sortie d’un pays de la zone euro ?

Ce serait le contraire de l’Union économique et monétaire. Ce qu’il faut, c’est une gouvernance efficace, qui permette de régler la question des divergences économiques entre Etats membres. Si vous n’avez pas la solidarité mais que vous avez la possibilité de sortir de la zone euro, vous invitez les marchés à faire ce qu’ils veulent, encore plus qu’aujourd’hui.

 L’interview est disponible sur le site de L’Opinion