La crise grecque n’est pas une crise grecque, mais une crise de la zone euro.

Article paru dans le Monde du samedi  juillet 2015

Sous le soleil d’Aix-en-Provence, la brûlante question grecque

Le Monde.fr | Samedi 04.07.2015

A Aix, il fait chaud, très chaud. On vient sans cravate, en bras de chemise ou – pour les plus décontractés, comme l’ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine ou Louis Gallois, le président du conseil de surveillance de PSA – en simple polo pour assister aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), où se croisent, trois jours durant (du 3 au 5 juillet), grands patrons, économistes et responsables politiques et internationaux. Cette année, la 15e édition avait pour thème « Et si le travail était la solution ? ». Mais dans ce « mini-Davos » ensoleillé, le sujet brûlant du week-end était naturellement la Grèce, et l’issue du référendum prévu par le gouvenement Tsipras, dimanche 5 juillet.

« Ça n’a pas de sens »

Derrière les débats sur le retour possible du plein-emploi ou la fin du CDI, les participants aixois ont toutefois pris un soin particulier à n’évoquer « la question grecque » que fugitivement, lors de points « off » avec les journalistes ou au détour d’un couloir. Pas question de faire de l’ombre aux débats prévus de longue date par le Cercle de économistes, organisateur de cette grand-messe provençale. Mais une fois lancé, chacun y va de son pronostic.

 « L’idéal serait que l’on arrive à une solution qui reconnaisse les souffrances du peuple grec, tout en réglant techniquement le problème de la dette grecque. Le risque [d’un “non” au référendum] est moindre aujourd’hui qu’il y a trois ans pour la zone euro, car des mécanismes de contrôle ont été mis en place. Mais d’un point de vue géopolitique, la question reste très sensible car la Grèce n’est pas loin des Balkans et a des liens avec la Russie », estime le sociologue britannique Anthony Giddens, professeur à la London School of Economics.

« Je m’étonne qu’Alexis Tsipras [le premier ministre grec] ait attendu aussi longtemps pour décider de ce référendum. Il aurait dû le faire dix jours plus tôt, en disant à ses électeurs : le mandat que vous m’aviez confié n’est plus respecté, je vous laisse faire votre choix. Le faire après le 30 juin [date à laquelle la Grèce n’a pas remboursé les 1,6 milliard d’euros qu’elle devait au Fonds Monétaire International, FMI] n’a pas de sens », tacle un banquier.

« Jeu de poker menteur »

« Quelle que soit l’issue du référendum, nous allons dans l’inconnu. Il va y avoir un grand besoin de refaire de la politique derrière », martèle la députée européenne socialiste Pervenche Berès, pour qui, « depuis l’élection [du parti de gauche anti-austérité] Syriza, [en janvier 2015], on a assisté à une négociation de créanciers, alors que le cadrage politique de l’affaire est passé au second plan. Aujourd’hui, on touche du doigt le point central : l’euro est un projet politique. » Pour Mme Berès, « ce n’est pas le FMI qu’il aurait fallu pour aider la Grèce, mais la Banque mondiale, car le pays est à reconstruire ». Et d’appeler à « empêcher un Grexit, qui donnerait aux marchés un pouvoir [de nuisance] qu’ils pourraient utiliser quand ils le voudraient. »

Certains participants étaient nettement plus remontés contre le gouvernement grec. « Les Grecs ont voulu croire que le surendettement était normal. Mais ce n’est pas du libéralisme que de ne pas vouloir de surendettement, c’est du bon sens ! Alexis Tsipras s’est pris tout seul à son jeu de poker menteur : quelle que soit l’issue du référendum, il aura perdu », tempête un grand patron. « On a affaire à un gouvernement d’amateurs », tranche un autre.

A l’inverse, pour Hubert Védrine, l’ancien ministre des affaires étrangères de Lionel Jospin (1997-2002), pas question de céder à la panique. « Je suis étonné par les exagérations que j’entends sur le sujet. Le principe du référendum ne me choque pas. Et si la Grèce devait conclure dimanche qu’elle n’est pas en mesure de respecter les critères très exigeants de la zone euro, pourquoi ne pourrait-elle pas redevenir un pays membre de l’Union européenne sans être membre de la zone euro? Cela n’aurait rien de tragique. Je ne dis pas que c’est préférable. Mais il serait malheureux, pour des raisons d’idéologie européenne, de s’accrocher à l’idée qu’un pays dont le peuple a déjà beaucoup souffert ne puisse pas ressortir de la zone euro.»

« On est dans une zone d’inconfort maximal »

Un point de vue loin d’être partagé par tous. « Même si le oui l’emporte au référendum, la situation sera compliquée. Les créanciers devront discuter avec un gouvernement de transition, le financement des banques se fera au compte-gouttes. On ne va pas continuer à financer la fuite des capitaux [référence aux avoirs grecs logés en Allemagne ou en Suisse] si le gouvernement grec est incapable de ramener la confiance ! », s’exaspère un banquier.

Patrons, économistes et politiques s’accordent toutefois sur un point : les Européens ne sortiront pas indemmes de ce weekend si particulier. « La crise grecque n’est pas une crise grecque, mais une crise de la zone euro. Tout le monde a conscience que l’Union européenne et monétaire est inachevée. Mais le divorce est consommé entre ceux qui plaident pour une stricte application des règles les Allemands, les Espagnols, qui se sont serrés la ceinture ces dernières années et les Grecs, qui ne veulent pas appliquer ces règles car ils les jugent mauvaises. Nous avons besoin d’une véritable gouvernance économique. A trop vouloir l’ignorer, le sol va finir par se dérober sous nos pieds », prévient Mme Berès.

« La zone euro dans sa configuration actuelle n’est pas adaptée : il y a à la fois trop d’intégration et pas assez. Résultat : on est dans une zone d’inconfort maximal », abonde l’économiste Emmanuel Fahri, qui a fait le déplacement depuis Harvard, où il enseigne. « Mais il s’agit d’un débat de fond, qui prendra peut-être des dizaines d’années pour trouver les institutions adéquates. Les Etats-Unis ne se sont pas construits tout seuls ! Il y a eu des défauts de certains Etats, des sauvetages… »

Les prochaines étapes pour la zone euro? « Il faudra plus d’intégration européenne, par exemple avec la mutualisation des dettes », pour M. Giddens. M. Fahri trouve pertinente l’idée d’« une assurance chômage européenne, financée au niveau fédéral par des transferts vers les différents Etats. Une union bancaire plus aboutie est également nécessaire », estime l’économiste, pour qui « on dispose aujourd’hui de mécanismes de régulation, mais pas des mécanismes de solidarité qui vont avec. »

Le lien vers l’article