Jeudi 14 juillet 2016
Il faudrait quelques dizaines de Michel Rocard dans ce monde pris dans une tentation mortifère de repli sur soi, de rétrécissement de la pensée, d’oubli de son Histoire.
Oublier l’histoire, c’est quelquefois raconter une autre histoire… Certains fins connaisseurs de la grande et de la petite histoire du Parlement européen ont choisi de m’y faire jouer un rôle de choix dans l’enchaînement qui conduisit à ce que Michel Rocard ne préside pas l’institution, réduisant cela à une guerre fratricide au sein du Parti socialiste où, comme fabusienne, j’aurais servi de paratonnerre.
Mettons cela sur le compte de l’émotion, du sentiment qu’un certain regard se perd, d’un épisode constitutionnel jamais digéré ; ne polémiquons pas, mais rétablissons la vérité.
Retour en arrière : bien avant l’élection du 13 juin 2004, Martin Schulz est convaincu que la délégation du SPD sortira en grand vainqueur des élections et qu’il doit présider le groupe socialiste, qui après élargissement de l’Union va réunifier la grande famille socialiste de l’Ouest et de l’Est. Bien avant l’élection, il a commencé sa campagne et conclu un accord en ce sens avec François Hollande. De mon côté, après avoir pendant sept ans présidé la délégation socialiste française, je fais savoir, peu de temps avant l’élection, que j’aspire à présider la Commission économique et monétaire. Les élections européennes du 13 juin 2004 portent dans l’hémicycle 199 députés socialistes sur les 732 sièges. Au sein du groupe S&D, contre toute attente, la première délégation nationale est, loin devant, la française avec 31 élus, suivie par 24 Espagnols, 23 Allemands et 19 Britanniques. Tout plaidait pour qu’elle revendique la présidence du groupe, ce qu’elle ne fit pas au nom de l’amitié franco-allemande, de l’accord passé sous l’autorité du premier secrétaire, François Hollande.
Elle pouvait aussi revendiquer celle du Parlement pour le plus illustre d’entre nous, Michel Rocard. Mais ce ne sont pas les Fabiusiens et leurs supposés spadassins qui empêchèrent son accession à la présidence par calcul minable, vengeance primaire ou peur d’un retour rocardien sur la scène politique nationale. D’autant que notre courant était « servi » avec ma présidence de commission et qu’avec 31 élus, nous pouvions demander, entre autre, la présidence du Parlement ET celle d’une commission.
Et au nom « de fidélités estivales bretonnes», le Président de la Délégation de l’époque, Bernard Poignant, ne voulut ni chercher l’affrontement, ni se dédier auprès de Martin Schulz, étoile montante et habile, de la parole donnée à un « ami de vacances » ; il refusa donc, malgré les suppliques d’une partie de la DSF, de présenter Michel Rocard, qui avait pourtant toutes les chances de emporter dans l’hémicycle, avec le soutien des Verts et des Libéraux.
Ce sera finalement, outre la Commission économique et monétaire, la vice-présidence du Parlement pour Pierre Moscovici et la vice-présidence du groupe pour Harlem Désir…
Faut-il oublier qu’à l’époque la ligne blairiste/SPD était, au sein du PSE, parti et groupe confondus, en pleine confrontation avec une ligne plus dure que nous incarnions ? Que pour les socialistes français, l’accord « technique » avec le PPE, totalement contraire à notre culture nationale, ne pouvait pas structurer la mandature qui débutait ; le résultat des élections ne devait pas être brouillé par des « accords incompréhensibles ». Que la ligne germano-britannique l’avait largement emportée au sein du groupe…
Décidément, qu’une « fabusienne » ait présidé la Commission économique et monétaire pose encore problème à certains. Soit. A l’époque, d’aucuns m’avaient reproché de ne pas avoir renoncé à ce poste pour sauver la commission Femmes des mains d’une slovaque conservatrice ; aujourd’hui on me fait le procès d’avoir empêché Michel Rocard d’être président du Parlement européen.
C’est trop d’honneur.
Pervenche Berès